Quantcast
Channel: Carnets de JLK
Viewing all 6545 articles
Browse latest View live

Passagère

$
0
0

Freud12.jpgElle porte son duffle-coat bleu ciel comme un nain jaune.

Lorsque je me pointe dans le compartiment d’à coté, elle se déplace et vient s’asseoir en face de moi. Je n’ai pas envie de faire attention à elle, mais elle m’y oblige : elle n’a personne ni nulle part où aller.

Elle est adorable sans être jolie ni belle. En principe, elle allait à Vienne dans la Drôme, mais à la gare où je descends elle descend aussi. Je remarque qu’elle n’a aucun bagage. Ensuite elle me suit partout, jusque chez moi où je lui dis que je n’ai qu’un lit, mais ça lui va.

Alors vient la partie intéressante de la joint venture onirique , découlant des occurrences précises de la métempsycose.

Ainsi, lorsqu’elle aborde la question de nos avatars connus, lui dis-je qu’avant d’avoir été plongeur nu à Delos je fus un dauphin remontant les rivières du Dauphiné.

Pour sa part, elle se rappelle avoir été luciole dans un champ nocturne de Toscane, du côté d’Asciano, après avoir été djinn dans l’Atlas, pour l’enchantement des uns et le tourment des autres – d’où sa gravité d’adolescente ostensiblement mature.

Nous dormons sans nous dévêtir, sans nous caresser, sans rêver peut-être mais dans les bras l’un de l’autre.

Le matin je lui dis que j’ai du boulot à mon atelier de doreur à la feuille.

Le soir, quand je reviens, l’oiseau s’est envolé.

Dessin : Lucian Freud.


SMS

$
0
0

_DSC0060.JPGPour S. et F.

Je ne sais pas comment te le dire mais j’ai le sentiment d’être tellement légère en pensant à toi, je marcherais sur les rivières pour te revenir d’un lac à l’autre en passant par les glaciers dont l’eau des crevasses est du même bleu blanc sableux que tes yeux de noiraud mal rasé, tu es à la fois mon arbre et le creux dans lequel j’aime à me lover pour te dire des trucs à l’oreille; les autres n’en finissent pas de nous seriner que le monde c’est galère, mais avec toi c’est plutôt pirogue en hiver et brise-glace en été, ça vient, ça vogue, j’aime bien aussi quand on fait la mer avec les draps et ensuite quand on se repose sur le sable noir sous le ciel rouge comme au Costa Rica l’année dernière ; aussi personne ne grimpe comme nous aux arbres pour rejoindre notre cabane au Canada, et là c’est vraiment Byzance avec toi quand on est seul comme à Paris loin des manifs (ou bien dedans à lever le poing, ça dépend), ou en Colombie l’autre fois ou l’an prochain en Californie, mais là faut que je te quitte, j’ai moins le temps que le lac et le Pacifique réunis - je la fais hyper-court : LOVE U +++ Je T’M…

 

 

Aquarelle: Pieter Defesche.


(Extrait de La Fée Valse)

Le drill des garçons

$
0
0



C’est au bout de la grande jetée qu’elle donne ses leçons. Dans le rêve elle est en grande tenue et nous aussi, tous les élèves en âge d’être initiés.

Elle ne s’attarde guère à la théorie.

- Venons-en tout de suite aux mains, nous dit-elle, et nous les lui présentons.
A ceux qui n’ont pas de don elle en donne.

Puis elle nous montre le mouvement approprié:


- Le petit trot, la croupe au mur, la palotade.

Dès qu’elle sent un emballement, elle invite l’intempestif à ralentir.

- Le saut n’est que ce qui le prépare, nous répète-t-elle à l’envi.

Puis elle chevauche l’un d’entre nous dont elle blesse parfois les flancs de ses éperons.
La règle tacite est cependant de ne paraître jamais souffrir.
Nos familles nous ont choisis pour être dressés et c’est un honneur.
A marée haute il semble que nous dansions sur les flots.

On continue

$
0
0

 12369036_10208220494816918_5325400035265526465_n.jpg

En mémoire de J.C.P.

Le fait que mon père fût un géant aux semelles mythiques ne m’a pas empêché, en tout temps, dès la nuit des scores, de préserver en mon tréfonds, et de maintenir tout alentour ce sens très délicat de la juste proportion qui fonde l’équanimité innée et la douceur acquise d’un jugement à la fois sage et fou bien balancé.

Mon père gesticulait en chaire et courait la brebis gueuse en vitupérant celle qu’il saillait (contradiction pointée dès Paul de Tarse et même avant, jusques en Chine passionnée et plus prudente que prude), mais mon père était mon père.

Nous autres du haut Derbyshire, portés sur la hache de bois dur comme chacun sait, continuons de célébrer la poussée des élans vitaux avec l’imagination requise par les divers sens sensitifs et sensuels, au dam des pions glabres à tampons moroses, et cela vaut pour tous les arrière-pays à torrents vifs croulés du ciel, et les fronts de mer cornouaillés d’écume animale ne sont pas en reste.

L’irrécupérable passé n’est qu’une illusion pour la Magicienne à l’accueillante maison sous la table, et le présent ne sera point relégué demain fussions-nous devenus silence et poussière d’engrais.

Du moins nos livres, édités entre arbres et rochers, diront aussi que tout passe et continue sous le vent tournant leurs pages.

Portrait: John Cowper Powys

(Extrait de La Fée Valse)

Rue de la Félicité

$
0
0

12346511_10208219764678665_3346473152339176457_n.jpg

Moi j’aime Paris, j’veux dire : les rues de Paris, les maisons de Paris, le blanc des murs des maisons de cinq étages de Paris, et les femmes de Paris : j’veux dire les jambes des femmes de Paris qui sont plus fermes de se faire tous les jours les escaliers des cinq étages des chambres de bonnes de Paris, voilà ce que j’veux dire quand j’te dis que j’aime Paris, et le gens de Paris : la vie des gens de Paris qui n’est pas que de Parisiens imbus ou déçus d’un Paris prétendu disparu…

Plus que toutes les autres de Paris, pour commencer, j’te dirai que j’aime la rue de la Félicité, cette année-là, juste au mois de mai, les jambes en coton de la première fois que je me suis fait mon Paris tout seul, le cœur en coton comme les blancs nuages du ciel tout neufs au-dessus du quartier gris chaulé à toits bleutés, l’asphalte un peu mol annonçant l’été et le café maure d’à côté et la porte vert Véronèse délavé à la fine main de bronze et l’escalier penché de bois craquant jusqu’au comble des combles là haut au ciel retrouvé par les tabatières, et Paris tout autour, des Batignolles à Monceau et vers Montmartre où le lendemain j’avais, entre le Lapin agile et Ménilmontant, à vérifier qu’Utrillo et Carné n’en auront pas rajouté, et le surlendemain par la rue des Cascades et le long des quais je file le train du chien Macaire jusqu’à ceux de Léautaud, de l’autre côté de la Seine, et plus loin les jours d’après en tourniquant de la Butte aux-Cailles à l’impasse de l’Homme armé; et chaque soir, tu peux m'croire, des rues par les ponts et retour par les jardins sous la lune des Tuileries je m‘retrouve dans ma soupente de la rue de la Félicité, et ce sera pas deux fois, j’te dis que ça : pas deux fois que ce sera la première fois.

(Extrait de La Fée Valse)

Le cabinet du Maître

$
0
0

 il_570xN.778857037_6buv.jpg

Le Maître nous reçoit dans un cabinet d’une blancheur aveuglante et nous fait nous déshabiller devant son assistante Blumlisalp en simple culotte.

Lui-même ne porte qu’une vareuse de l’ancien régime, mais sa barbe taillée au ciseau menaçant et ses médailles d'argent repoussé signalent assurément un tempérament d'aumônier militaire.

Blumlisalp nous propose de faire le test de Roczak, mais nous déclinons poliment.

Le Maître nous promet alors qu’il va nous faire parler et que nous apprendrons, de gré ou de force, à gérer notre libido; pourtant c’est lui qui baisse les yeux lorsque nous l’affrontons du regard. Nous sommes de la génération Jung et c’est un vioque : voilà pour les faits.

Lorsque je lui dis que nous aimons LE faire dans les clochers et les rochers, il le note dans son registre d’un air satisfait de poule tombant sur un couteau.

Il précise sûrement : rêve du clocher, rêve du battant, rêve de l'homme au sable à Monaco, mais avec Wanda nous n’en avons rien à secouer. C’est pourtant clair : la morale bourgeoise, nous, ça nous gonfle.

Enfin nous retrouvons nos vêtements et autres ornements soigneusement rangés dans les dépendances de l'Institut. Nous avons hâte de nous en aller. Au même instant, dans le rêve, une foule en délire nous acclame car Wanda me le réclame, ce soir, à l’italienne.

(Extrait de La Fée Valse)

Celles qui grimpent en opposition

$
0
0

 344_001.jpg

Celui qui aime bien leur côté terre à terre avec vue sur le ciel / Celle qui ne crie pas sur les toits que c’est là-haut qu’elle se lâche avec Anaïs et ses Boyards papier maïs / Celles qui ne trouvent pas si normal que le nouveau Conseiller fédéral ait été élu par les gens normaux de ce pays si normal / Ceux qui ne se font pas une idée si haute de la chambre basse et ça aussi c’est normal et d’ailleurs valable pour la chambre haute / Celui qui aime bien leur côté précis et méthodique genre Marie Curie observant un bacille de coq / Celle qui prétend avoir vu Notre Seigneur marcher sur l’eau sans être sûre qu’il portait des DOC MARTENS ou des MEPHISTO’S / Celles qui prenant le thé avec sainte Anne n’ont rien vu venir alors qu’on était à la veille de l’Immaculée Conception / Ceux qui aiment bien leur côté nature quand elles ruminent sous l’édredon / Celui qui dans les îles se sent des ailes / Celle qui a perçu le côté féminin du général Sharon hélas dans le coma depuis un bout de temps / Celle qui rajoutent un glaçon à leur Martini pour pallier le réchauffement de la planète / Ceux qui en rajoutent une couche d’ozone en tout cas devant les caméras / Celui qui de son père resté l’enfant qu’il fut à hérité la collection d’œufs de pinsons qui chanteront encore quand nous ne serons plus / Celle qui a toujours refusé de cracher au bassinet du sanatorium « dans l’intérêt de la science » / Celles qui ont toujours été en quête de quelque « fraternel paria » et ça continue sur Facebook / Ceux dont le développement intellectuel s’est accompli avec tant de lenteur qu’à sept ans ils ne savaient pas encore L’Illiade par cœur ni d’ailleurs L’Odyssée / Celui qui apprécie les limites de leur crédulité pas vraiment dupe des recommandations éthiques de l’OTAN en Arctique / Celle qui en tant que magicienne infiltrée dans la famille Dessous L’Eglise a changé la réalité divine en sa propre cuisine, l’univers divin en son propre jardin, et l’immanente nature en ses divines confitures / Celles qui trouvent assez vulgaire et malappris d’offrir aux enfants des jouets onéreux / Ceux qui savent que les jouets les plus appréciés des enfants sont les plus simples et faits de bois comme les échelles pour monter aux arbres ou au ciel, etc.

(Cette liste a été notée dans les marges de la (géniale) Autobiographie de John Cowper Powys traduite par Marie Canavaggia chez Gallimard en 1965).

Les grappes

$
0
0

littérature

- Voulez-vous de nos grappes ? nous demandent les femmes à la vendange sur les terrasses baignées par la lumière orangée du dernier soleil .

Nous arrivons de la Montagne Noire (Crna Gora). Ce matin encore nous étions dans les mines. Nous sommes affamés et nos yeux sont dilatés par la longue obscurité. Seules les paumes de nos mains sont roses après le long savonnage sous la cascade.

Le ciel aussi est rose et le soleil paraît une amulette scythe au ras des derniers ressauts des monts.

La marche nous a tués, mais les grappes que nous tendent les femmes sont elles-mêmes comme des femmes: nous brûlons de les prendre à pleines mains et cependant une pudeur nous retient. Nous titubons de fatigue et notre sueur ruisselle le long de nos torses. Nous devons puer comme des fauves.

La première grappe est comme une première femme, et voici que la vigne se remplit d’autres vendangeuses, puis ce sont les époux qui arrivent dans la rumeur des cloches, les vieux et les enfants impatients de nous arracher aux premières femmes pour jouer. Nous savons que refuser le jeu serait passible de lapidation.

 

(Extrait de La Fée Valse)


Giton

$
0
0

Giton.jpg

C'est typiquement les années 70 dans cet appart bohème de rêve du Square du Roule où la mère de Nora a planqué des Juifs. Il y a dans toutes les chambres des danseurs du Ballet du XXe siècle qui parlent Karma et se foutent de la vaisselle sale. Ils ont adopté celui que j'ai voituré à Paris, qu'on appelle Giton et qui adore se montrer à poil. Incontestablement un corps sublime, le profil du favori de l'empereur Hadrien, assez d'instinct pour ne pas trop déconner quand on parle politique ou philo, mais Béjart lui a déjà fait comprendre qu'il lui faudrait trimer dur pour devenir ce qui s'appelle un danseur.

Giton est en principe la chose de Nora, qui me fait comprendre à la cuisine qu'elle ne voit pas ça durer longtemps. Devant l'évier croûté de tartre on parle aussi de Gurdjieff et des groupes de Chandolin, puis du dernier festival d'Avignon où Germinal et Jorge ont fait merveille - entre autres trips.

Dans le métro le lendemain Giton me la joue bardache, mais son narcissisme me fait plutôt chier. Le dernier soir nous allons fumer du H dans une baignoire de l'Opéra (Die Walkyrie) et nous rentrons si claqués que je m'endors au volant à la hauteur d'Auxerre. Mon ange gardien reptilien me fait juste éviter le crash, et quelque temps après Giton se met à boire, se laisse pousser la barbe et se lance dans le commerce.

(Extrait de La Fée Valse)

Kaléidoscope

$
0
0

639186046.jpg

Quand j’étais môme, déjà, je voyais le monde comme ça : j’avais cassé le vitrail de la chapelle avec ma fronde et j’ai ramassé et recollé les morceaux comme ça, tout à fait comme ça, j’te dis, et c’est comme ça, depuis ce temps-là, que je le vois, le monde.

Le monde est comme un vitrail recollé, c’est pourtant vrai : j’aurai passé des jours et des jours, depuis ces années-là, à genoux devant la chapelle qu’il y a un peu partout, à chercher les morceaux du vitrail dans l’herbe et à les rassembler, le front bas, avant de les recoller, du bon côté de la lumière, les yeux au ciel.

Et voilà le monde, j’te dis pas : faut l’avoir fracassé et recollé pour l’aimer comme ça.

(Extrait de La Fée Valse)

LONGUES PHRASES

$
0
0

12741276@750.jpg

Celui qui s'est longtemps couché de bonheur au motif que sa mère bossant la nuit à l'aciérie voisine ne pouvait le border avant l'heure où elle pointait là-bas et donc alors qu'elle avait déjà pris sa place dans la chaîne lui à peine sa bougie éteinte n'avait pas encore pu se dire "je m'endors" qu'il pionçait déjà pour être réveillé plus tard par l'idée qu'il ferait bien à présent de s'endormir alors que son esprit flottait encore dans le livre que Maman avait emprunté pour lui à la bibliothèque du syndicat et c'était par étrange osmose comme s'il était lui-même un objet ou un personnage du roman par elle conseillé qu'il devenait par exemple cette petite madeleine qu'il émiettait dans la soupe au gruau vespérale ou ce fier ouvrier sidérurgiste au torse luisant de sueur contre lequel son imagination déposait sa joue empourprée tandis que les écailles du sommeil pesaient de nouveau sur ses yeux et voici que les joues de l'oreiller se substituaient au torse de l'ouvrier et que sonnait minuit et que Maman prenait la pause à la cafète et que lui s'imprégnait de l'immobilité des choses et du silence au point de devenir chose lui-même et silence même duquel naissait bientôt la mélancolique mélodie d'une espèce de sonate ouvrière qui était celle-là même que Maman entendait là-bas dans l'usine aux voussures de cathédrale et aux vitraux violets qu'enflammait la pourpre des grands feux et voilà que le branle était donné à sa mémoire et que les images affluaient de sorte que loin de se trouver séparé plus longtemps de Maman celle-ci sortait en imagination comme Eve naquit d'une côte d'Adam chez lui née d'une fausse position de sa cuisse et son corps de petit prolétaire sentait par la seule évocation diaprée du corps de Maman à sa chaîne la chaleur lui revenir et c'était alors qu'il se réveillait pour écrire tout exactement comme il l'avait ressenti dès le début de son endormissement le récit qu'il ferait lire à Maman à son retour des ateliers après quoi tout comme exactement il s'en souviendrait plus tard celle qu'il aimait lui dirait bonsoir tandis que le jour se lèverait, etc.

 

(Extrait de La Fée Valse)

Filles de joie

$
0
0

3128125662_1_2_kTrmU3WH.jpg

Nous en avons assez des lugubres. Nous manifestons contre les sinistres. Nous exhibons nos visage et nos bras au risque d’être fouettées mais nous sommes les messagères d’un nouveau monde: sus aux rabat-joie !

Nous irons jusqu’au bout de notre rêve de galanterie. Car c’est cela, n’est-ce pas ? qui nous disconvient dans le comportement des coléreux: c’est cette muflerie de tous les instants et cette mauvaise humeur.

Nous sommes les fille faciles. Nous en avons soupé de la méchanceté des prétendus sages et des prétendues saintes. Ces prétendus sages et prétendues saintes s’astreignent du matin au soir et ne pensent qu’à soumettre le monde entier à ce joug, et c’est cela qu’ils appellent honorer l’Unique.

Nous ne voulons pas de leur Dieu sombre. Nous n’aimons pas ce père sans égards. Nous attendons de Dieu qu’il sourie et qu’il nous tienne la porte à la bibliothèque ou à la disco.

Nous n’avons aucune peur. Nous sommes les filles de l’air. Ils ne peuvent plus rien contre nous que nous violer ou nous tuer.

(Extrait de La Fée Valse)

Kaléidoscope

$
0
0

 12347945_10208243928882755_3089099702422962197_n.jpg

Quand j’étais môme, déjà, je voyais le monde comme ça : j’avais cassé le vitrail de la chapelle avec ma fronde et j’ai ramassé et recollé les morceaux comme ça, tout à fait comme ça, j’te dis, et c’est comme ça, depuis ce temps-là, que je le vois, le monde.

Le monde est comme un vitrail recollé, c’est pourtant vrai : j’aurai passé des jours et des jours, depuis ces années-là, à genoux devant la chapelle qu’il y a un peu partout, à chercher les morceaux du vitrail dans l’herbe et à les rassembler, le front bas, avant de les recoller, du bon côté de la lumière, les yeux au ciel.

Et voilà le monde, j’te dis pas : faut l’avoir fracassé et recollé pour l’aimer comme ça.

(Extrait de La Fée Valse)

La forêt de Bellouve

$
0
0

PanopticonB1.jpg
Ce n’est pas un rêve mais la réalité même. Cela mérite d’être souligné d’emblée dans le temps d’inattention où nous vivons. Il va de soi que ceux qui en retrouvent le chemin ne sont pas forcément les plus instruits ou les mieux nantis, mais les plus assoiffés de retrouver la sensation première que dispense naturellement l’eau du gour de Bellouve.

Vous vous trouvez dans la forêt de Bellouve. Vous ne savez comment cela s’est fait, mais vous buvez de cette eau et pour la première fois vous vous apercevez que vous êtes nu.

En vous penchant sur le miroir liquide c’est cependant plus que votre corps que vous apercevez: c’est le corps du monde et la forêt s’ouvre alors à vous.

Tout ce qu’ensuite vous vivez dans la forêt de Bellouve advient comme à jamais, et chaque lieu en gardera la trace et en vous.

Image: Philip Seelen

On the rocks

$
0
0

1675432525.jpg

La question n’est pas de savoir s’il est plus élégant de patiner sur un iceberg ou sur un glacier de Terre de Feu : ce qui compte est le style qui s’y adapte à chaque fois.

Le style est un habitus: qu'on se le dise dans les églises. Le style n'est pas qu'une façon de parler ou de marcher sur les pieds du vulgum pecus: le style est une mesure exacte et la distribution des générosités de la Nature dûment transformées. Le style est un savoir-boire et sans rêver tu oublies. Le style est l'art de l'oubli porté au biseau de la Mémoire.

Au bar, plus directement, le style découle aussi de sa capacité d'improviser selon l'immémoriale Tradition des banquises bipolaires et autres décors d'aurores boréales, car tout dépend à la fois d'un bon métier et des surfaces taillées au plus ou moins aigu des angles, autant que de la consistance cristalline de leurs effets de ciseaux - et quelle griserie c’est à tout coup de toupiller imaginairement sur son glaçon à la pointe de ses lames tout en laissant couler en soi la chaleur ambrée de son treizième Coca-cognac…

Image : Philip Seelen

(Extrait de La Fée Valse)


Ceux qui se gênent

$
0
0

peinture-anker-maurice-anker-avec-une-poule-tableaux-galerie-arts-decoration-bretagne-auray-golfe-morbihan-attention-a-la-peinture-jean-jacques-rio.jpg

Celui qui a toujours l’air de s’excuser d’être là / Celle que résument sa jupe plissée et sa blouse ton sur ton / Ceux qui ne veulent pas déranger mais insistent à leur façon / Celui qui craint les timides en sa qualité d’officier du renseignement par ailleurs rompu aux ruses des faux modestes / Celle qui n’a jamais supporté l’imbécillité vulgaire d’un Patrick Sébastien sans le proclamer trop haut au bureau vu qu’elle n’a qu’un diplôme de sténo-dactylo / Ceux qui ont toujours trouvé que le sans-gêne des gens de télévision reflétait en somme la muflerie ambiante / Celui qu’amusent de moins en moins la stupidité et la vulgarité de la meute / Celle qui craint les hyènes médiatiques se précipitant sur elle chaque fois qu’elle change de rouge à lèvres / Ceux qui à l’instar de Chief Brenda Johnson fuient les estrades / Celui qui se sachant dépositaire d’un secret tâche d’en assurer la protection / Celle qui se cache pour souffrir / Ceux qui attentent à la pudeur de la lectrice et du lecteur de façon trop ostentatoire pour être remarquée en zone de muflerie généralisée / Celui qui est d’un pessimisme noir à son éveil avant que ses fenêtres ne hissent les couleurs / Celle qui apprécie le coucher de soleil sur les docks sans en fait pour autant un poème sur Facebook / Ceux qui dans la Vita Nova du jeune Dante ont appris ce qu’était le Dolce stil nuovo auquel ils n’adhèrent pas entièrement vu son tour un peu désincarné par les temps qui courent / Celle qui s’est toujours tenue à distance des jacteurs et des cafteuses qui lui en veulent pour cela même et jactent donc à son propos et caftent à l’avenant / Ceux qui arborent des chapeaux en sorte de rappeler à tout un chacun (et chacune) qu’ils sont écrivains / Celui qui rappelle à ses clients qu’il est d’abord écrivain mais c’est bien le chauffeur de taxi qui les conduit à l’aéroport / Celle qui déballe tout à la commissaire qui lui a ordonné d’accoucher / Ceux qu’une certaine réserve retient de montrer leur derrière sur les sites concernés / Celui que la chiennerie généralisée de la meute a conforté dans la discrétion de sa vie de chat / Celle qui est toujours restée décente comme le lui a enseigné sa mère militaire au doigt sur la couture / Ceux qui aiment bien revoir les Portraits de femme au travail d’Alain Cavalier dont l’aristocratie naturelle console de la vulgarité et de la stupidité gagnant tous les étages de la société / Ceux qui ont pressenti par intuition et ont vérifié par expérience que la quête effrénée du quart d’heure de célébrité ne relevait pas tant du besoin d’exister que de celui d’écraser / Celui qui prie à sa façon sans que le Seigneur ne lui en tienne rigueur vu qu’ils ont bon cœur tous les deux / Celle qui supplie le Bon Dieu de la rendre meilleure et de fait cela se remarque au bureau sauf les jours de congé / Ceux qui ne se gênent pas de se dire qu’ils s’aiment et d’ailleurs ça ne gêne personne tant qu’ils restent entre eux, etc.

Peinture: Max à la poule, d'Albert Anker.

Ecce Homo

$
0
0


medium_Christ.JPG


Que dirait le Christ surgissant, aujourd'hui, dans le Big Bazar préludant à sa naissance, fêtée aujourd'hui comme une opération commerciale entre tant d'autres  ? Qui pourrait le dire, pontife  ou mendiant, mécréant ou fidèle de quelque confession que ce soit ? Voici ce que je me demande depuis tant d'années à vitupèrer les temples de la Consommation, n'oubliant rien des humbles Noëls de notre enfance. Et voilà ce qu'en quelques pauvres mots je confesse de mon Christ à moi... 

Mon Christ à moi est au milieu de nous jusqu’à la fin du monde. Ce matin il se trouvait peut-être à genoux au milieu d’un trottoir lausannois, sous les traits d'une mendiante au regard plein de ressentiment, à ce qu'il m'a semblé, qui m'a fait la maudire et me détourner - et je me le reproche encore à l'instant.
Ce Christ-là avait les mêmes longs cheveux sales que celui qui s’est jeté du pont aux suicidés, en plein Lausanne, il y a trente ans de ça, et dont la vision de la tête ensanglantée, dépassant de la couverture jetée sur son cadavre, me restera toujours présente comme l'icône de la désespérance.
Un autre Christ m’est apparu une autre nuit, à Paris, quand les nautoniers de la Seine ont relevé, des eaux huileuses, ce corps qui s’est défait de ses derniers vêtements au moment où il est apparu dans la lumière lunaire, blanc comme l’ivoire d'une autre vie.
Le Christ est en agonie jusqu’à la fin du monde, et pendant ce temps il ne faut pas dormir, disait à peu près Pascal le croyant, et après lui Chestov mon frère l'hésitant.
Je l’ai vu en agonie au service des soins intensifs d’une division de pédiatrie, crucifié dans le corps d’une petite fille dont les tortures furent exacerbées par l’incurie des supposés patrons, mais soignée tous les jours par des anges soignants. Mon Christ à moi est cette petite fille, mon église vivante est celle des compatissants qui se sont agenouillés autour de sa tombe, et tout le reste n’est qu’un bal de vampires.
Mon Christ est cette petite fille martyre à laquelle je pense en me levant dans la splendeur de chaque matin du monde, présente lorsque je ferme les yeux face à la mer ou lorsque des amants s'étreignent. Mon Christ est ce pauvre sourire au milieu des milliers de visages défilant aux murs des couloirs d’Auschwitz. Faute de croire en la divinité du Christ, je pense que le Christ est notre humanité en devenir, notre salut avant la mort, non pas la force du « Christ des nations » mais la faiblesse du plus humilié et du plus offensé - notre nullité transmuée en aura.


Ecce Homo. JLK. Gouache, 1997.

I had a dream

$
0
0

25a021c04c090d747cba81392c497e28.jpg

À propos de la lecture de Sable mouvant de Henning Mankell, et d'un rêve récurrent...

J'avais fini la soirée, de retour a casa après avoir vu le remarquable Back Home de Joachim von Trier, en lisant Sable mouvant de Henning Mankell, récit amorcé au lendemain du jour où il a appris qu'il était condamné (cancer déjà généralisé) et qui constitue une chronique au passé-présent zigazaguant entre nos souvenirs de 30.000 ans en arrière et la dernière trace de notre espèce (dans 100.000 ans pour ce qui concerne les déchets nucléaires), situant la prochaine glaciation (en Suède et environs) dans quelque chose comme 5000 ans.

Unknown-3.jpegJe reviendrai sur ce livre magnifiquement vivant, d'un type généreux et profond par son réalisme même.

Le rêve angoissant de Mankell est celui d'être pris dans les sables mouvants et le mien, revécu la nuit dernière, est de me trouver coincé dans un boyau souterrain - cauchemar classique du nouveau-né, dit-on dans les colloques psychanalytiques australiens.

Or dans ce dernier rêve je venais de quitter Jean Ziegler dans notre voiture de fonction du Conseil mondial des Droits de l'Homme et de l'Eau, et je m'enfonçais dans une grotte à l'entrée accueillante (une porte à voussure ogivale) avec une petite fille de cinq ans sur le dos, Alexia de son prénom.

Ensuite la grotte se rétrécissait jusqu'à n'offrir qu'une issue de la taille d'une tête d'Homo Sapiens, donc nous allions devoir reculer - pensée toujours stressante à l'idée que de l'autre côté aussi cela se puisse se refermer.

Au sortir soulageant de la grotte, divers fumeurs de cigarettes se moquaient de mon peu de succès dans les souterrains. J'en défiais alors un en lui lançant (écho de ma lecture de Mankell) que parfois il faut avoir le courage de sa peur.

Et ce fut la fin du rêve que je racontais aussitôt à Lady L. toujours intéressée par mes rapports d'activité onirique, souvent intense et pleine de choses cachées depuis le début du monde...

Ceux qui hantent les étendues

$
0
0

Gerry2.jpg
Celui qui lit debout dans les librairies / Celle qui sait tout Emily Dickinson par cœur / Ceux qui se flattent d’avoir découvert Au-dessus du volcan dans sa première édition jaune / Celui qui s’est identifié à Zorba le Grec au point de s’amputer du pouce droit / Celle qui lit la partition de Tosca dans son bain moussant biodégradable aux agents tensio-actifs non ioniques / Ceux qui compensent leur apathie sexuelle en se passant un bon vieux ZZ Top plein tube dans leur ferme écolo / Celui qui apprend les horaires des trains de nuit par coeur / Celle qui martèle le torse de Victor en l’appelant mon salaud mon salaud / Ceux qui prétendent qu’ils vivent dans un angle mort du Temps / Celui qui s’est inventé un passé de militant de l’ETA pour se faire accueillir chez les intellos qu’il rançonne ensuite avec méthode / Celle qui dissimule ses accointances avec l’Eglise de scientologie section Liechtenstein / Ceux qui ont fondé le Groupe de Réconfort du département Gestion de Fortunes de la Banque Nahum / Celui qui se fait masser les pieds par son neveu naturopathe hélas entiché de Le Pen / Celle qui rappelle à ses amies de la Société Gurdjieff que le Maître a prouvé son indépendance d’esprit en pénétrant à cheval dans une église catholique / Ceux qui se disent en recherche au chalet Le Joyeux Randonneur / Celui qui aimerait plastiniser le corps de son beau-père le géant chauve foudroyé dans l’exercice de sa fonction de maître-nageur à la piscine de Rivebelle / Celle qui appelle les loups à la lisière de la forêt / Ceux qui disent qu’ils vont bientôt partir pour attendrir ceux qui restent / Celui qui dit NON au nouvel esprit de l’Entreprise / Celle qui court tous les matins pieds nus dans l’Allée des Fusillés / Ceux qui sont tancés par le Doyen parce qu’ils se touchent pendant le cours de chimie de Mademoiselle Leblanc / Celui qui est fier de son manteau à col de loutre / Celle qui se rappelle la Noël où elle chantait Il est né le divin enfant et combien elle fut choquée par la remarque désobligeante de l’oncle Rupert lui reprochant un manque patent de réelle spiritualité dans l’expression en typique pasteur de mes couilles / Ceux et celles qui rêvent de revivre à l’époque de Sissi impératrice / Celui qui considère qu’apparaître dans un journal est plutôt déshonorant / Celle qui se demande l’impression que cela fera au village de voir son nom dans la page des morts / Ceux qui nettoient chaque matin les sols de la centrale thermique d’Uppsala / Celui qui incinère son chien Boubi en sanglotant à l’insu de ses voisins sans cœur / Celle qui se ronge les ongles en écoutant plus ou moins du Monteverdi sur Espace 2 / Ceux qui se souvient de cela que le nom de Monteverdi désigne une voiture de luxe aussi cool que la Facel-Vega / Celui qui a juré à Suzanne qu’il me lui demanderait plus jamais de le faire à l’italienne tout en restant ferme sur sa position philosophique ostensiblement transgressive inspirée par le marquis de Sade / Celle qui se demande qui est réellement, question sexe, son chef de file de la Section Pharmacologie de l’Institut Bayer & Bayer / Ceux qui ont refilé la Maladie à celles qui ne s’y attendaient pas de si tôt / Celui qui estime que sa mère est trop soumise à l’évêque Ledru bien connu pour ses captations d’héritages / Celle qui cède chaque matin à son penchant pour les douceurs de la pâtisserie de la rue Monbijou / Ceux qui s’impatientent de voir se rétablir la Sainte Inquisition / Celui qui est toujours furieux / Celle qui croit que son ventre est plein d’une tumeur / Ceux qui ne supportent pas la joie des autres / Celui qui récolte la monnaie oubliée des automates / Celle qui jouit des insinuations qu’elle sème / Ceux qui redoutent les instruits / Celui qu’obsède le Complot / Celle qui ne voit que le beau côté des choses / Ceux qui observent leur voisinage au moyen de lunettes d’approche / Celui qui se dit l’Epée du Seigneur / Celle qui fait semblant de claudiquer pour qu’on la prenne en stop / Ceux qui envoient des lettres aux journaux / Celui qui ricane de tout / Celle qui ment pour ne pas décevoir / Ceux qui mutilent les animaux / Celui qui se croit remplaçable / Celle qui hume les aisselles / Ceux qui notent les numéros de plaque des automobilistes en faute / Celui qui aime nager en apnée / Celle qui joue du piano à minuit / Ceux qui aiment voir brûler les maisons / Celui qui se flatte de ne pas jouir / Celle qui rêve d’un Monsieur posé / Ceux qui pleurent à approche des fêtes, etc.

L'argus de Nabokov

$
0
0

medium_Nabokov4.JPGmedium_Argus.jpg Il me reste de lui ce petit Argus bleu dans son enveloppe de papier de soie, dont il a fait cadeau à mon ami Reynald qui l’a soigné au CHUV de Lausanne et me l’a donné pour me remercier de lui avoir fait découvrir un jour l’adorable Lolita.

C’était le dernier grand maître de la littérature occidentale, que les cuistres de Stockholm ont honoré en s’obstinant à ne pas lui décerner le Prix Nobel, comme s’il était naturellement au-dessus de ces honneurs calculés, trop insolemment libre pour aller donner la papatte à un monarque social-démocrate.

Nabokov est mort à Lausanne, il a vécu trente ans à Montreux, Vladimir Dimitrijevic l’accueillit parfois lorsqu’il était libraire à la rue de Bourg, mais pour ma part je ne l’aurai vu qu’une fois en vie, au petit écran où il était apparu trônant derrière ses ouvrages et proférant d’extravagants et poétiques propos dont on sentait que chacun avait été minutieusement préparé tout en témoignant, avec quelle fraîcheur paradoxale, du plaisir à la fois savant et ingénu que l’écrivain éprouve à dégager les mots de leur gangue d’imprécision ou de trivialité, à les nettoyer de leurs scories pour les faire chatoyer et scintiller sous nos yeux comme des pierres précieuses.

Et de fait c’est le poète qui me touchait avant tout chez Nabokov: c’est cet amour des choses du monde qu’on découvre, qu’on nomme et qu’on inventorie, la passion du naturaliste faisant écho, dans les constellations du langage, à celle du trouvère de jadis. Descendant direct de Pouchkine, et considérant d’ailleurs sa propre traduction d’ Eugène Onéguine, du russe en anglais, comme l’un de ses meilleurs ouvrages, Nabokov l’apollinien s’inscrit cependant, aussi, dans la lignée plus obscure et grinçante de Gogol, selon lui “le plus étrange poète en prose qu’ait jamais produit la Russie”, auquel il consacra un petit livre non moins singulier. Du premier il avait la lumineuse intelligence, l’esprit de géométrie et l’équilibre classique, la vaste culture et l’orgueil aristocratique, et du second le fond plus trouble et le génie malicieux, l’ironie et certain goût du trivial - mais on chercherait en vain chez lui la trace d’aucune dévotion et d’aucun autre culte que celui de la littérature scientifique ou poétique, avec la révérence particulière qu’il accordait à son propre génie - comme un don du ciel qui méritait le respect et le meilleur entretien quotidien.

On se le figure supérieur, réactionnaire et même cynique, mais je vois surtout en lui l’émerveillement à tout instant revivifié de l’enfant d’Autres rivages, ce petit collectionneur fervent des pétales volants du Jardin d’Eden qui tout au long de sa vie, d’un exil à l’autre, refera ce geste innocent et prédateur d’attraper la beauté au vol; et dans une zone plus secrète je m’incline devant l’humour trempé au bain d’infamie de la personne déplacée, qui raconte dans Jeu de hasard cette affreuse histoire de l’exilé russe errant d’une ville d’Europe à l’autre, à la recherche de sa femme disparue et qui décide un soir, dans le wagon-restaurant où il a été embauché comme serveur, d’en finir avec cette vie méchante et sale. Or, tandis qu’il prépare avec soin sa disparition, comme s’il composait un problème d’échecs, nous apprenons que celle qui suffirait à lui rendre sa raison de vivre se trouve à l’instant dans le même train que lui - mais on se doute que la rencontre ne se fera pas, que le pire adviendra en attendant que d’autres livres s’écrivent pour nous faire oublier cette faute de goût de la destinée, comme le beau temps revient.

Je regarde à l’instant mon petit papillon bleu et j’ai les larmes aux yeux en pensant à tous ceux qui voletaient ainsi dans la lumière en se croyant peut-être éternels et qu’une patte incompréhensible a saisis soudain pour les clouer dans une boîte, sur une porte de grange ou à une croix. Je ne vois plus Vladimir Nabokov qu’en chemise d’hôpital, tel que me l’a décrit mon ami Reynald, mon cher ami de jeunesse mort en montagne sept ans après son illustre patient, et ces livres qui nous restent comme des rayons de miel, où je sais que je reviendrai me nourrir à n’en plus finir.

medium_Photo_003.jpg

medium_Photo_007.jpgNabokov à son pupitre, photo de Horst Tappe.

La tombe de Vladimir et Véra Nabokov, toute proche de celle d'Oskar Kokoschka. Photo: Philip Seelen

 

Viewing all 6545 articles
Browse latest View live