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Channel: Carnets de JLK
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Gloria in excelcis Deo

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…J'ai passé ce matin l'aspirateur partout et j'ai fait les vitres pour mieux embrasser l'aube d'été et donner mieux à voir aux enfants les merveilleuses images, ensuite j'ai disposé les fleurs sur les tables et préparé le frichti et les vins associés, donc voici Seigneur: tout est prêt pour ta seule gloire, et maintenant à table !...
 
Image: Philip Seelen.

Selfie-défense

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…La sécurité est à ce prix, j’te dis, tu vois quand même pas tous ces étrangers aux doigts longs piétiner nos assiettes et fumer nos portables en laissant leurs pitbulls graffiter les murs de nos villas privatives; et tu sais que pour les drones même les basanés savent en faire mauvais usage, donc vigilance : si tu sens que ça te fouille la poche tu te fais vite un selfie que tu postes sur Youguard ou Facecop - et là t’es sûr qu’on assure…
 
Image: Philip Seelen.

Le bon berger

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…Au total on passe vraiment des vacances super avec Monsieur Hulot, j’veux dire le chef moniteur : il nous a trouvé des espaces où le vivre-ensemble va de pair avec la ventilation des odeurs, sur des zones protégées où l’herbe est garantie renouvelable; et le soir on a des groupes de parole où les moutons noirs et autres brebis perdues se retrouvent; on est à fond dans l’échange, le ressenti de l’Autre et le lâcher-prise, et plus tard tu peux pas savoir les histoires que Nicolas nous raconte pour nous endormir…

 

Image: Philip Seelen.

Ceux qui pensent l'épluchure

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Alexandre Vialatte en septembre 1966: "L'épluchure doit être pensée ".
 
Celui qui se rend à la déchetterie pour faire son bilan bicarbonate / Celle qui échange une lampe contre un éteignoir a la ressourcerie des Lucioles / Ceux qui pensent l'épluchure sans chercher à la comprendre / Celui qui n'en revient pas de revenir aux fondamentaux de la décharge / Celle qui pouffe dans son fauteuil crapaud / Ceux qui chinent dans les puces japonaises / Celui qui propose à ses élèves du Gymnase de la Cité cette sentence de Michaux pour sujet de composition française: "Quand les autos penseront les Rolls Royce seront plus angoissées que les taxis" / Celle qui offre son tricycle à sa sœur puînée qui lui demande: et c'est pour la vie ? / Ceux qui ne comprennent pas mais s'émerveillent / Celui qui apprend par l'Almanach des boiteux qu'en juillet les Catherine feront d'appréciables moissons sans gluten / Celle qui vit avec une chèvre dans la région de Grignan ou les poètes foisonnent par contact / Ceux qui ne voient en Ramuz (ils prononcent Ramuze) et Chappaz (ils prononcent Chappâze) que des poètes régionalistes au même titre que Bashô le Jaccottet japonais du sud-est / Celui que tout met en joie quand un Suisse allemand la ramène / Celle qui s'émerveille de ce que la France typiquement française soit la même en Savoie basse et en haute Louisiane au niveau de l'accent grave / Ceux qui apprécient le folklore lapon pour sa laponitude fondamentale / Celui qui ne récuse pas l'idée du koala en soi mais préfère l'individu réel accroché à son tronc de gommier / Celle qui hennit de satisfaction spontanée quand on la selle joliment / Ceux qui ont fait de l'anticonformisme leur oreiller à œillères, etc.
 
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Absolution

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… Au point d’effusion de la présence il importe de rappeler à chacune et chacun, selon son mérite avéré par les instances secrètes, qu’elle ou il participent de la Société des Êtres, au titre de laquelle chacune et chacun se reconnaît unique et mérite donc haute attention, et d’abord de sa propre part, après quoi l’attribution de l’Auréole par les instance secrètes se fait à main levée, selon la qualité du pardon…  

 

Image. Philip Seelen.

Marche et crève

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…T’as beau lui dire : HALTE ! ça n’y changera rien, le mec est buté, t’as beau lui dire et lui répéter que seule l’inflexibilité de l’esprit humain, fermement dressé sur le front des violence qui le menacent, prêt au sacrifice et à la mort, et proclamant HALTE ! pas un pas de plus !, t’as beau lui répéter que seule cette inflexibilité assure la défense de la paix pour tous, le mec en futal de guerre et en pompe civile, typique du méli-mélo de l’époque, n’en a qu’à sa marche et à son but de se faire buter…

Image: Philip Seelen.

Gaïa

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…Moi je ne vous ai rien demandé, mes volcans ne prouvent rien ni mes geysers ni mes chutes de roche ou de glace, mais c’est à vous de voir jusqu’où vous irez dans la gestion de mes ressources, comme vous dites, moi je ne me fie qu’au Plan général : je repousse où ça me chante à la lumière des lucioles ou des constellations, et tant pis si vous me laissez seule avec les grillons et les étoiles de mer, ma foi c’est vous qui savez, votre temps est compté et ce n’est pas moi qui ai inventé le sablier…

Le feu au lac

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…Et pourquoi qu’il est fâché, le lac, pourquoi qu’il fait ces vagues d’océan, non mais pour qui ça se prend ? et pourquoi ces claques au quai qui lui a rien fait, y sait pas le lac que c’est plus permis de mettre des baffes aux quais ? non mais des fois, et pourquoi qu’il est vert, le lac, quand il voit rouge ?...

 

Image: Philip Seelen.


Fusion

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…Moi aussi, Léonide, je suis dans la mouvance transgenre, je trouve incroyable qu’on nous cloisonne, toi sous prétexte que t’as des couilles et que t'es donc un violeur potentiel, moi du fait de mes études de clavecin - nous deux on fusionne, même si t’es voile et vapeur sur les bords et que j’en pince pour les marmottes moites…


Image : Philip Seelen

La baraka

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Aux innocents massacrés

 

 

J'étais innocent présumé,


ou peut-être pas, va savoir ?


J'étais un enfant de trois ans,


j'étais Un vieil Anglais


familier de la promenade;


nous, nous étions juste belles,


juste faites pour le bonheur,


et faut-il se méfier aussi


des jeunes filles en fleur ?


Et quelle peur auraient-ils eu


ce soir au bar des retraités


amateurs de karaoké ?


Nous, nous ne faisions que passer.


Ces trois-là étaient Japonais.


Pas mal de gens, aussi,


qui s'étaient dit CHARLIE


en janvier de l'autre année,


l'avaient oublié par la suite


en se pointant au Bataclan...

 

Mais à présent on se sentait


tellement protégés:


le ciel virant de l'orangé


à l'indigo sur les palmiers;


nous regardions la mer


aux reflets étoilés;


dans ses bras tu t'étais sentie


délivrée des emmerdements;


un autre maudissait la vie


sans savoir pourquoi ni comment;


plusieurs millions plantés


devant l'écran de leur télé


étaient à regarder comment


le monde va ou ne va pas -


on ne sait pas, ça dépendra


peut-être de la baraka ?

 

 

Voila ce que ce soir peut-être


ou peut-être pas, va savoir


ils se disaient tous dans le noir


et comme flottant hors du temps:


ah mais quel beau feu d'artifice


ce serait ce soir à Nice...


Lorsque a surgi le camion blanc.


(Ce matin du 15 juillet 2016)

La peur du loup

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Où il est question d’un rite matinal au niveau du couple. D’une vieille angoisse et des moyens de l’exorciser. Qu’il est plus doux qu’on ne croirait de se retrouver avec qui l’on aime dans le ventre du loup.

Pour L.


Quand je me réveille j’ai peur du loup, me dit-elle et ça signifie qu’elle aimerait bien son café grande tasse, alors du coup je la prends dans mes bras un moment puis je me lève comme un automate bien remonté.

Je prends garde à tout. Le café passé, tandis que je pense à autre chose, je me dis: pas le jeter, pas oublier de chauffer le lait, pas oublier qu’elle est sans sucre, pas oublier qu’elle l’aime bien chaud mais pas trop.

Je ne sais comment font les autres. Se font-ils plutôt servir ? Me trouveront-ils en rupture d’observance des lois non écrites de la confrérie des mecs ? Je ne sais et d’ailleurs n’en ai cure, mais je précise qu’il n’entre aucune espèce d’asservissement dans cette coutume que nous perpétuons chaque matin avec un sourire partagé. Ce n’est pas pour arranger la paix des familles que je fais ça, pas du tout le style répartition des tâches au sein du couple et consorts.
La seule chose qui compte à mes yeux, c’est rapport au loup. Cette histoire de loup me fait toucher à sa nuit. Il y a là quelque chose qui me donne naturellement l’élan des chevaliers de l’aube, et voilà tout: je lui fais donc son café, ensuite de quoi nous nous préparons à nous disperser dans la forêt.

Mon amour a peur du loup, et ça lui fait une tête d’angoisse, mais c’est aussi l’un des secrets de notre vie enchantée en ces temps moroses où d’invisibles panneaux proclament à peu près partout que le loup n’y est pas, n’y est plus, si jamais il y fut.
Mon amour est une petite fille perdue dans la forêt, et comme alors tout devient grand à la mesure de sa peur: tout retentit et tout signifie dans le bois de la ville. C’est immense comme l’univers, et le quelque chose de mystérieux qu’il y a là-dedans peut se transformer à tout moment en quelque chose de menaçant. Mais aussi la présence du loup nous fait nous prendre au jeu. Dans la pénombre des fourrés, sous le drap, je mime volontiers le loup qui guette, et mon amour prend alors sa petite voix, et de savoir déjà la suite du conte nous rapproche un peu plus encore.

Nous voyons la chose comme en réalité: la ville est un bois, les rues sont les allées de notre existence et à tout moment se distinguent des chemins de traverse et des raccourcis parfois encombrés d’obstacles que nous devons surmonter à tout prix.
Le conte dit en effet, tout le monde le prend pour soi, que nous avons une mission précise à accomplir. Nous nous représentons le panier de victuailles avec la galette et la bouteille de vin. C’est dans ces obscurités, là-bas, que se trouve une masure dans laquelle nous attend notre innocente mère-grand au bonnet de dentelle.
Nous ne nous demandons même pas pourquoi cette sacrée mère-grand a choisi ce logis. Nous y allons et plus encore: nous nous réjouissons. La présence du loup nous fait nous serrer l’un contre l’autre. Parfois je mordille le cou de mon amour pour lui faire bien sentir que ce n’est pas de la blague. Elle prend alors sa voix toute menue, comme elle prendra tout à l’heure la voix éraillée de mère-grand, tandis que j’énonce le conte et me prépare à lâcher la phrase la plus fameuse:
- C’est pour mieux te manger mon enfant !
C’est une sorte de formule de magie qu’il me suffit de dire pour que se rejoue la scène la plus attendue avant que tout, ensuite, nous paraisse de nouveau soumis à l’ordre des choses.

Le loup nous recommande de nous attarder en chemin, et c’est pourquoi nous le considérons comme une espèce de cousin de bon conseil. Ensuite, si nous y resongeons sur les lieux de notre tâche quotidienne, nous nous disons que le séjour dans le ventre du loup n’était point tant inconfortable; et nous nous revoyons sous le drap: lovés l’un contre l’autre, dans cette espèce de sweet home qu’est le ventre du loup.

La journée, ensuite, devrait être purgée de toute angoisse. Dehors, tout semble aussi bien retrouver un air plus familier. Pour un peu nous goûterions au biscuit chocolaté des buildings, si nous n’étions pas si pressés. En attendant nous sommes rassurés, mon amour et moi: tout ce qu’il fallait dire et faire l’a été. Le jeu voulait que je me dresse devant elle, et je me suis dressé. Le jeu voulait qu’elle déjouât la menace, et elle l’a déjouée. Nous nous sommes pris au jeu et cela nous a donné la force de nous relever. Et même si le fin mot de tout cela nous échappe encore, nous pressentons déjà que demain nous jouerons de nouveau à nous faire peur.

Ceux qui freinent au vert

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Celui qui mord la ligne blanche sous la ceinture / Celle qui ceinture le géant de la route / Ceux qui squattent les guérites de péage / Celui qui flashe le radar / Celle qui a un air d'autoroute à sept pistes / Ceux qui dépassent par les coulisses de l’exploit / Celui qui a 66 migrants dans son container marqué Logistics / Celle qui remonte la bretelle à contre-courant pour ramasser les objets signalés par Radio-Déroute / Ceux qui se fond plumer à l'aire des Alouettes / Celui qui dérape dans son discours ni de gauche ni de droite / Celle qui évite le camion djihadiste à mosquée intégrée / Ceux qui prennent par La Croix-Haute avec vue sur le cimetière de cycles / Celui qui se chauffe les jarrets dans la montée d'Ailefroide / Celle qui a un ticket avec le gendarme couché / Ceux qui trouvent la mer du Nord politiquement plus correcte / Celui qui va à Lampedusa pour se faire une idée avant de rejoindre sa future ex à Hurghada / Celle qui voit rouge quand le vert mord dans l'orange / Ceux qui voient surtout le comique de situation de la tragédie quotidienne ou tout le monde se marre comme pas possible, ah, ah, ah !
 
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Nocturne

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Le piano dans la nuit


écoute cette voix


qui ne parle qu'à lui.


Celle qu'on ne voit pas


se tait les yeux fermés.


On ne sait pas ce qu'elle fait là.

 

Les grands arbres muets


abritent sous d'autres cieux


les splendeurs de l'ivoire.


On ne saura jamais


d'où vient le chant du soir.

Ceux qui louent un blockhaus avec vue

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Celui qui retrouve sa cheffe de projet dans le camp sécurisé de Palavas-les-flots / Celle qui apporte des oranges à la détenue du camping bio / Ceux qu'on accueille dans l'ancien bunker alpin aux meurtrières donnant sur le lac bleu ciel / Celui qui prend l'apéro dans l'espace fumeurs des souterrains vitrés / Celle qui admoneste le mégot sûrement complotiste / Ceux qui rejoignent les évangéliques sur l'aire de lancement des drones d'assistance spirituelle / Celui qui se recueille dans la chapelle relookée par le plasticien de Brisbane / Celle qui fixe le mérou à l'air insoumis / Ceux qui tapent le carton en citant les apôtres du Nouvel Âge / Celui qui opte pour un Christ sans faciès inapproprié genre Ben Laden / Celle qui flaire le musulman à distance / Ceux qui se délassent dans le Groupe Nature aux membres cooptés / Celui qui s'éclate en toute liberté sur son yacht blindé / Celle qui se retrouve au Lavandou avec ses 666 followers / Ceux qui découvrent que Babylone est le gîte du hérisson (Isaïe, XIV, 23) en parcourant un Ancien Testament trouvé à la ressourcerie du camping / Celui qui coache les pèlerins coréens de Czestochowa venus s'agenouiller devant la vierge noire et tâter de la vodka au miel / Celle qui a pris conscience de son surpoids en Bavière et appris au Kenya à s'en foutre / Ceux qui ne passeront pas l'été à lire des romans de l'automne, etc.

 

Peinture: Pierre Lamalattie

Le paria

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…T’es qui, toi ? t’es qui pour te payer un nase pareil, tu dois être Juif toi, ça m’étonnerait pas que tu sois Juif, ou Palestinien, tiens, pour faire bon poids, et pourquoi pas Juif palestinien pendant que tu y es, non mais tu t’es vu ? Tu serais Palestinien de Gaza de mère juive et de père mahométan que ça m’étonnerait pas, tant qu’on y est, et après ça tu t’étonnes qu’on te lacère ?...
Philip Seelen


Le disciple

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…Toi chais pas mais moi je me fais un peu yéchi en montagne, d’abord t’es trop seul, ensuite ça sait faire que monter la montagne, et plus tu montes et plus tu vois pas où ça va, tu fais que monter et tu te dis : tu vas voir, le Maître l'a dit, mais tu vois que tes pieds et les pieds des arbres, et bientôt t’es plus haut que les arbres et après que t’as plus que tes pieds au sommet tu marches dans le vide et là t’as Bouddha qui te dit : continue ! Bouddha qu’est là-bas sous l’arbre, cool le Bouddha et toi qu’as oublié ta fiole de grappa…


Image : Philip Seelen (à Derborence)

Un auteur suspect

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… Ce que je vous reproche de n’avoir pas assez relevé dans votre analyse, Marie-Laure, c’est le fait que le dispositif narratif de la nouvelle intitulée Le Passe-Muraille, qui focalise le geste de l’actant dans la représentation, surcodée par le genre fantastique, des motifs de la souplesse et du passer-vers– ce dispositif typique de la posture anarchisante (voire réactionnaire dans son refus du principe de réalité) de l’auteur, met clairement en jeu la description/opposition d’un espace opaque problématisant la thématique de l’Obstacle (autre signe d’évitement du Réel au sens marxiste, chez un Marcel Aymé notoirement de droite), et l’occurrence individualiste de la figure fuyante que l’éveil de sa conscience fige soudain dans la matérialité retrouvée des éléments idéologiquement non-résolus du pacte narratologique…


Image : Philip Seelen

L’Ève future

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…Je ne te dis pas la griserie, mon chéri, quand tu as toute le route devant toi et que la route te tend les bras, si j’ose dire (et j’ose), et que cette route est Notre Avenir, voilà : tu as tout de suite compris que c’était CE modèle que je voulais, à conduite assistée, le nec plus de la technologie japonaise, l'insoutenable légèreté de l'être nippon - et maintenant viens pousser celle que tu aimes, mon amour: à nous la Liberté…
Image : Philip Seelen

Petite Naine

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littérature,poésie


 

De l’incertaine dualité du corps et de l’âme. Où l’enfant apparaît sous sa forme la plus fragile et la plus sauvage. De la savane africaine, des couleurs de Van Gogh et de la Constellation du Vélocipédiste.   

        Le corps et le ciel ont tout stocké en mémoire de ces échappées. Le ciel aime surtout à se rappeler la grâce des enfants. Pour aller vite: les accros le branchent de moins en moins. Il a certes eu sa période Tour de France, à l’époque des grands duels Anquetil Poulidor et tutti quanti, ou précisément aussi: du temps du Giro de Fausto Coppi et Dino Buzzati, mais à présent il ne voit plus que l’agitation machinale de ces espèces de spermatos multicolores en quête de énièmes de secondes, et ça le fatigue à la fin malgré la dégaine de la caravane: ce cirque ne fait plus le poids à ses yeux s’il se rappelle le sentiment d’un seul gosse se dandinant pour la première fois sur le vélo femelle de sa mère (ou de ses tantes des grandes vacances, ou de sa soeur aînée déjà bien en croupe, ou de ses cousines poussines de la campagne) et jouissant ensuite de la descente à fleur de ciel, the right formule at the right place.

        Le ciel est plein de ces histoires radieuses des débuts de Little Robic ou du Petit Nemo se rêvant en train de valser dans la Constellation du Vélocipédiste. Le bas de la tunique du ciel (naguère de soie, désormais de viscose made in India aux coutures mal finies) est tatoué de tous ces zigzags de tous ces mômes sur les trottoirs du quartier, puis sur la chaussée, à travers la ville, et plus tard autour du lac et des lagons - le ciel adore identifier ces myriades de cicatrices que le corps lui ressort sans se faire prier, tout le menu fretin rose des estampilles à peine visibles, et de temps à autre pourtant la toute belle balafre (un ado lancé à folle vitesse sur les sagaies d’une clôture) ou la déformation à vie (rares mais terrifiques vieilles fractures réduites à la diable, surtout dans les pays chauds), et justement à ce propos le ciel et le corps se rappellent tout soudain les petits cyclistes de la savane africaine, et alors là c’est le top.
        Les petits cyclistes de la savane africaine rivalisent de célérité, aux fins de journées saturée de poudre à canon, sous le ciel rouge et noir, comme pour rattraper on dirait, mais vaine poursuite ils le savent, les antilopes fuyant là-bas entre les flamboyants, quand on sait qu’ils ne font la course qu’avec leur ombre dansant dans la poudre brenneuse de la piste dont les tièdes bouffées de vent leur remplissent les narines et la guenille qui leur sert de  culotte.
        Le corps jouit de se sentir ces jarrets élastiques des petits cyclistes de la savane africaine, mais le ciel se remémore bientôt d’autres cieux, et c’est déjà reparti pour la Hollande.
        A de tels moments on relève entre le corps et le ciel certain froid. Le ciel prend en effet ses aises et temporise, à l’ennui croissant du corps jamais résigné à la trop molle pédale (la Hollande, non mais des fois...) et qui ne va pas tarder d’ailleurs à réclamer sa dose d’excès, puis voici que le ciel se rappelle tout à coup Van Gogh et le dit au corps, lequel se jette aussitôt sur l’os, après quoi fulgurent les couleurs extrêmes.  
        Sur la route noire sous le ciel jaune (ou, à choix, sur la route jaune sous le ciel noir) le corps bandé par l’effort est violet dehors et dedans tout blanc fulminant de muscles chauffés à fond la bielle.
        Cependant une autre phrase s’écrit à l’instant sous la candide dictée du ciel: vive le jaune, et au même moment surgissent les fourgons chargés de déments à destination de la maison là-bas derrière les barbelés et les bulbes bataves, et du coup le corps, aux anges, s’impatiente de rejoindre la fameuse allée cyclable du domaine, tout à trac il envoie promener le consultant au vocabulaire qui prétendait le tester sur la souhaitabilité des changements d’appellations (on sait que le terme de fou paraît désobligeant à certaines familles), et de se busquer, de se braquer, de se cabrer comme un bronco puis de se faire presque mal à défendre n’était-ce que la possibilité d’une phrase du genre: il passera sa première nuit supercool chez les dingos, au Pavillon Les Dauphins.
        Yak.jpgAprès le goûter, quoi qu’il en soit, toute les bicyclettes sont alignées pour l’inspection à l’entrée de l’allée cyclable de la maison jaune et c’est alors que le Général Dourakine apprend des instances dirigeantes qu’il est privé de vélocipédie au motif de ne s’être pas, une fois de plus, retenu de saluer le Drapeau.

        Il vient au corps un engourdissement pénible à la seule évocation du Général. La mélancolie du personnage fait mal à voir. A vrai dire jamais le corps n’a été si désireux  d’acquérir le moindre soupçon d’adresse, jamais incapable non plus à ce point, mais une telle impossibilité de la nature n’est jamais allée de pair non plus avec une telle joie.
        La première fois aurait pu se révéler la plus humiliante, tant la meute était déchaînée: de l’étron perché à la patate roulante, tout y a passé, et le corps se souvient de ce chemin de croix de l’ancienne allée caillouteuse bordée de ronces; malgré le sourire du ciel le corps est meurtri par le ressouvenir des énormes bleus sur le corps boudiné de l’hippo schizo - et c’est aux douches un jeu de plus que de les compter à voix haute en se jetant le patapouf d’une mêlée savonneuse à l’autre -, mais le Général Dourakine n’a qu’une obsession, le ciel sait laquelle, n’a qu’un rêve et c’est le Tourtour, n’a qu’une amour et c’est Petite Naine.
        D’aucune âme le ciel ne se rappelle tant de joie à se lancer sur la piste après les autres, fût-ce en grosse lanterne ballottée entre deux chutes, suant la graisse et le pissat nerveux, crachant l’âcre gravier, tombant chaque fois plus bas à ce qu’il semble et se relevant plus illuminé.

        Hélas le corps ne saluera pas aujourd’hui le Drapeau du ciel, et c’est tout seul et à pied, puis entouré de ses aides de camp, que le Général Dourakine se retrouve à ce moment où dans sa vie il se fait soir.
        Lui vient cependant, une fois encore, la vision de Petite Naine au ciel, et le corps se sent tout délivré. Elle est gracieuse. Les roues petites et grandes font dans les nébuleuses comme un dessin maladroit.

Retournement

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L’incroyable, ou l’indicible -
au subit arrachement des fusibles,
il a fait noir en plein jour
et j’ai vu le temps se retourner sur lui-même,
me rappelant cet autre effroi,
au premier abrupt de l’éveil.
 
Le jeune brigand s’en va tout seul
hors du sommeil de l’enfance ;
il ne vit plus le rêve :
dans le bond il devance
son ombre qu’il attend
au lieu de tous ignoré
où son double le veille.
 
Plus tard seulement le voyant
se retourne, accueillant,
et prononce, les yeux fermés,
les mots ne disant rien
que le brigand enfant
n’ait vécu là-bas sans penser
jamais à l’expliquer.
 
(La Désirade, ce 17 juillet 2017)
 
Peinture: Egon Schiele.
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