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Vert de lune

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… C’est pas Rimbaud ça, alors tu me dis qui c’est vite fait parce que moi faut pas me chambrer, allons bon, lol, tu me dis que c’est Breton, et qui c’est ça Breton, tu me cherches ou quoi, tu veux montrer que tu m’écrases question poésie et tout ça, non mais t’es qui toi, tu vas pas me dire que c’est pas Rimbaud qu’a dit que la lune était bleue comme une émeraude ? …

Image: Philip Seelen


Une immense lecture

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Lecture intégrale du dernier livre, extra-ordinaire, de Christophe Ransmayr. D'autres commentaires suivront...

RANSMAYR Christoph. Atlas d’un homme inquiet. Traduit de l’allemand par Bernard Kreiss. Albin Michel, 458p.

     Au bout du monde

-   Que les histoires se racontent.
-   Sur un bateau à destination de Rapa Nui, l'île de Pâques.
-   Navigation mouvementée. Le Pacifique pas du tout calme.
-   Tout de suite l’univers physique est très présent.
-   Un homme « effroyablement maigre » parle au Voyageur.
-   Evoque le peuple de Rapa Nui, qui a peuplé les îles de milliers de statues de pierre.
-   Les habitants étaient sûrs d’être seuls au monde et ne se rappellent pas leur origine.
-   Parle un mélange d’anglais, d’espagnol et d’une langue inconnue. L’île est assimilée, à sa découverte, au séjour d’un dieu.
-   Lequel, Tout Puissant, se nomme Maké-Maké…
-   Son père est anglais et sa mère Rapa Nui.
-   Manger lui est très pénible.
-   Les statues s’appellent moaïs.
-   Des figures tutélaires d’un culte oublié, qui sont devenues symboles de puissance.
-   L’homme très maigre estime que la faim a été le destin de ce peuple.
-   Dont les habitants ont épuisé les richesses naturelles et ont fini par s’entre-dévorer. Avant d’être exploités par les Péruviens dans des mines de guano.
-   La quête de la faim est assimilée, dit-il, à une quête du corps astral. Texto.
-   Le Voyageur se concentre ensuite sur la présence des sternes fuligineuses, dont l’homme très maigre dit que ce sont des oiseaux sacrés.
-   Ils portent des noms étonnants : le puffin de la nativité, le fou masqué ou le pétrel de castro.
-   La présence des oiseaux sera récurrente dans ce livre.
-   Le Voyageur-poète y apparaît comme un témoin sensible. « J’étais là, telle chose m’advint ».
-   Mélange de récit de voyage et d’évocation poétique mais sans fioritures.

  10685473_10205289392780161_3216953367841735615_n.jpg   Chant de territoire.
-   Le Voyageur se retrouve sur la muraille de Chine enneigée.
-   Où il avise la silhouette d’un type s’approchant.
-   Un Mr Fox de Swansea, ornithologue, qui a vécu avec Hong Kong avec sa femme chinoise et répertorie des chants de territoire des merles.
-   Classe les chants en fonction des sections de la muraille, chaque territoire ayant sa modulation.
-   Le chant d’une grive marque l’au revoir des deux hommes.
-   Une atmosphère étrange et belle se dégage de cette rencontre. La merveille est partout, très ordinaire en somme et prodigue en histoires.

-   Herzfeld
-   Chaque récit commence par « Je vis »…
-   « Je vis une tombe ouverte à l’ombre d’un araucaria géant »…
-   Cette fois on est dans l’état fédéral. Brésilien de Minas Gerais.
-   On enterre le Senhor Herzfeld.
-   Dont le Voyageur a fait la connaissance deux jours plus tôt.
-   Le fils d’un fabricant d’aiguilles à coudre du Brandebourg, exilé à la montée du nazisme.
-   Herzfeld a commencé à lui raconter sa vie.
-   Puis est mort la nuit suivante.
-   L’évocation de la mise en bière du Senhor Herzfeld, et son enterrement, forment le reste de l’histoire.

    Cueilleurs d’étoiles
-     Le récit commence par la chute d’un serveur et de son plateau chargé de bouteilles sur une terrasse jouxtant un café des hauts de San Diego.
-   Le serveur se retrouve par terre alors que tous alentour scrutent le ciel.
-   Il a buté sur le câble d’alimentation d’un télescope électronique.
-   Tous scrutent la Comète.
-   Dont le passage coïncide, ce soir-là, avec une éclipse de lune.
-   Et le serveur, aidé de quelques clients, ramasse les éclats de verre qui sont comme des débris d’étoiles.
-   Cela pourrait être kitsch, mais non.
   
  Unknown-4.jpeg  Le pont céleste.
-   On voit des cônes de pierre noire sur lesquels déferlent des dunes.
-   Le Voyageur se trouve quelque part au Maroc, dans un lieu dominé par des tumulus mortuaires d’une civilisation disparue.
-   Là encore, le lien entre un lieu fortement chargé, et le passage des humains, est exprimé avec un mélange de précision et de poésie très singulier.

       Mort à Séville.
-   Le dimanche des Rameaux, dans les arènes de Séville, se déroule un dernier combat entre un cavalier porteur de lance et un taureau.
-   La suite des figures est marquée par l’hésitation du taureau et la blessure du cheval, puis du public jaillit la demande de grâce, d’une voix unique.
-   L’affrontement est évoqué avec une sorte de solennité, sans un trait de jugement de la part du Voyageur.
-   C’est très plastique et assez terrifiant.
-   Et cela finit comme ça doit finir.
-   Sans que rien n’en soit dit.

    images-2.jpeg Fantômes.
-   On passe ensuite en Islande, où le Voyageur croit voir des fantômes.
-   Se trouve là en compagnie d’un photographe, familier des légendes islandaises,nourries par les proscrits relégués dans cet arrière-pays.
-   Lui raconte celle, saisissante, du bandit à qui le bourreau a coupé une jambe pour l’empêcher de se sauver, et qui a appris a courir en faisant « laroue ». Une roue humaine qui terrifie les passants quand elle leur fonce dessus…
-   Où il est question de la peur du noir et des « diables de poussière ».
   
-   Extinction d’une ville.
-   Le Voyageur se retrouve au sud de Sparte.
-   Il a été jeté de sa moto par il ne sait quoi.
-   Puis remarque, dans la nuit, que les lumières de la ville de Kalamata sont éteintes.
-   Ensuite il rejoint un café en terrasse où il découvre, à la télé, qu’un séisme vient d’avoir lieu dans la région.
-   Qui a provoqué sa chute et l’extinction de la ville.
-   Cela encore raconté sans le moindre pathos. J’étais là, telle chose m’advint.
-   Mais rien non plus de froidement objectif là-dedans.

    À la lisière des terres sauvages.
-   Dans un asile psy autrichien, une jeune femme s’apprête à faire du feu avec du papier et des copeaux invisibles.
-   On voit la scène, très développée ensuite.
-   Sous le regard d’une gardienne dans une cage de verre.
-   La jeune femme entend une voix qui lui dit : « Tu ne doit pas tetuer »…
     
10846109_10206965636766251_6018341720919555434_n.jpg    Tentative d’envol.
-   Au sud de la Nouvelle Zélande, en terre maorie, le Voyageur observe un jeune albatros royal en train d’essayer de s’envoler.
-   L’occasion d’une longue et épique digression sur la vie des albatros, telle que la lui évoque un ancien chauffeur d’autocar devenu ornithologue après la mort accidentelle de sa femme.
-   Formidable récit ponctué de nouvelles diverses en provenance du monde des humains.

-   Le Paon.
-   ÀNew Delhi, son chauffeur de taxi lui évoque l’imminente pendaison du meurtrier d’Indira Gandhi.
-   Une certaine psychose règne, liée àl’attentat qui a provoqué le massacre de milliers de sikhs.
-   Atmosphère de pogrom.
-   Le Voyageur veut se rendre au Rajasthan et à Jaïpur.
-   « Et c’est alors que je vis le paon ».
-   Uneapparition qui rappelle celle du paon de Fellini, dans Amarcord…

      L’attentat.
-   Le Voyageur se retrouve à Katmandou, dont les frondaisons des arbres sur le boulevard central, sont occupées par des milliers de renards volants.
-   Plusieurs membres de la famille viennent d’être tués, et le nouveau roi se trouve probablement dans la limousine d’un convoi.
-   Au moment de l’attentat auquel assiste le Voyageur, une nuée de renards volants obscurcit le ciel.
-     Où le Voyageur croit voir un écho significatif aux événements en cours…

  10373678_10204665049092997_3066348123066125052_n-2.jpg  Attaque aérienne.
-   On se trouve maintenant sur les hautes terres boliviennes.
-   Où le Voyageur chemine avec des amis, un biologiste bavarois et sa compagne italienne.
-   Quand surgissent des chasseurs qui volent en rase-motte au-dessus d’eux, la jeune femme leur lance en espagnol : No pasaran.
-   Il faut préciser qu’un nouveau dictateur s’est installé en Bolivie.
-   Mais le pilote a vu le geste de défi de la jeune femme et fait demi-tour et canarde le trio.
-   Se non è vero… io ci credo purtoppo.

-    Plage sauvage.
-   Un vieux type au crâne rasé, sur une plage brésilienne, semble rendre un culte privé à une femme dont il tient la photographie près de lui.
-   Et soudain son parasol s’envole.
-   Le Voyageur va pour l’aider, mais un jeune homme sort de la forêt et secourt le vieux.
-   Sur quoi le voyageur lance « Amen ! Amen ! » à l’océan.
-   Tout cela toujours étrange et vibrant de présence.
-     
-   Homme au bord de la rivière
-   Un type repose en maillot de bain au bord de la Traun, rivière de haute-Autriche.
-   Quelques enfants veillent sur son demi-sommeil, claquant des mains pour tuer les taons qui lui tournent autour.
-   Les taons morts sont recueillis dans des sachets de feuilles.
-   Lorsque le type se réveille, il compte les taons et distribue des piécettes à ses gardiens du sommeil.
-   Etrange et belle scène d’été.
     
3351967952.2.jpg    Le souverain des héros.
-   Au sommet de l’île d’Ios, dans les Cyclades, le Voyageur découvre les stèles blanches du tombeau d’Homère (92-97) et médite à propos de ce monument au « plus grand poète de l’humanité ».
-   Il y voit un monument « à la mémoire d’un chœur de conteurs disparus »,tout en évoquant merveilleusement ce lieu que je me rappelle comme de ce jour-là après la baignade…

-   Un chemin de croix.
-   Sur la route de Santa Fe, à bord d’une Cadillac bordeaux qu’il a louée, le Voyageur croise une procession entourant un porteur de croix, dont les pèlerins lechassent bientôt à coups de pierre.
-   Peuaprès il rencontre un deputy sheriffqui lui explique que ces penitentes procèdent parfois à de véritables crucifixions, parfois fatales au crucifié volontaire,mais absolument illégales…

-   D’outre-tombe.
-   À Mexico, le Voyageur observe une petite accordéoniste jouant sur le trottoirdans un entourage de squelettes et de têtes de mort et de cercueils en chocolat marquant la fête du Jour des Morts.
-   Le Voyageur se rappelle alors une jeune Indienne sur une fresque, visiblementdestinée à un sacrifice rituel à l’ancienne cruelle façon. (p.104)
-   Chacunde ces récits se constitue en unité, cristallisé par le regard du Voyageur etplus encore par son art de l’évocation, à la fois réaliste et magique.
-   Onpense à Werner Herzog, en moins morbide, ou à Sebald, en plus profond.

      Déplacement de sépultures
-   Sur l’Île de Robinson Crusoë, quatre mois après un tsunami.
-   Un homme s’affaire à mettre de l’ordre dans les tombes dévastées par l’eau.
-   LeVoyageur se trouve là sur les traces d’Alexandre Selkirk, le boucanier donts’est inspiré Daniel Defoe.
-   Unrécit qui suggère physiquement la mêlée des vivants et des morts.
-   L’alertedonnée par une petite fille a permis de limiter le nombre de morts en ceslieux.


   1517583_10202800104910558_1946850104_n.jpg Prise accidentelle
-   Suit le récit du sauvetage, par un pêcheur de homards furibond, du bateau à bordduquel le Voyageur se trouvait.
-   Le pêcheur maudit le ciel à cause de sa pêche calamiteuse : Un seul homarddans 59 casiers.
-   Maisen arrivant au port, de rage, il remet le homard unique à l’eau…

-   Dans les profondeurs
-   Avecd’autres whale watchers, le Voyageur observe une baleine « timide »qui a l’air de rêver au-dessous de lui, son aile reposant sur son baleineau…
-   Ensuiteil éprouve une vraie terreur lorsque la baleine s’approche de lui. On pense àMoby Dick, au fil d’une évocation de ces immensités marines…
     
     La reine de la jungle
-    Il voit un veau mort dans une clairièred’herbe entourée de jungle.
-   Lachose se passe dans l’Etat fédéral brésilien de Sao Paulo.
-   Le proprio est un Allemand émigré qui a importé des vaches du Simmenthal.
-   La forêt vierge perçucomme une entité vivante que l’Allemand a combattu pendant des années.
-   Récit de ses tribulations.
-   Et soudaine apparitiond’un anaconda de sept ou huit mètres traversant lentement la route.
-   Telle étant la reinede la jungle.
-   Dont un train routierlui fonçant dessus aura probablement brisé les vertèbres, quoique le serpentcontinue d’avancer…

     La transmission
-   Histoire du batelier Sang, sur le Mékong, dont le filsconduit depuis trois jours le bateau sur lequel se trouve le Voyageur.
-   Quand il y a un danger, son père lui pose la main surl’épaule, sans un conseil de plus.
-   Le fils connaît chaque remous du fleuve par son nomancien.
-   L’histoire de Sang recoupe celle des bombardements sur leLao, dont l’intensité à dépassé ceux de l’Europe à la fin de la guerre.
     
   L’Adieu
-   Sur un banc de laplace du marché d’un bourg autrichien, un vieil homme, prof retraité et veuf,reste là avec une amie et fait parfois semblant de dormir.
-   Cette fois pourtant,il peine à se réveille, jusqu’au moment où l’on constate qu’il ne fait plussemblant du tout.
-   À la morgue, une larmeversée par le Voyageur nous fait comprendre qu’il vient de perdre son père.
     
    Dans l’espace cosmique
-   Le Voyageur seretrouve couché dans un canot à fond plat, conduit par un Maori dans une sortede labyrinthe à ciel ouvert.
-   Puis le canot s’échouesur un matelas spongieux formé d’insectes morts.
-   On retrouve là lessensations à la fois physiques et et quasi métaphysiques évoquées par Coloaneou Sepulveda au contact de la nature sauvage.

  Drive au Pôle Nord
   Récit d’une tout autre tonalité, dont un joueur de golf de l’Illinois est le sujet.
-   Natif de Riga, il aémigré aux States après la déportation de son père par les Soviétiques.
-   Débarqué au pôle nordà bord d’un brise-glace atomique, il va tirer dix coups sous le regard interditdu Voyageur, dix balles de golf dans la neige, à proximité du drapeaurusse…

     Retour au bercail
-   Le long d’une rivière canadienne, en Ontario, le Voyageur assiste à la remontée problématique dessaumons qui vont se heurter à l’obstacle d’une cascade asséchée.
-   Désignant la« saloperie da cascade », un pêcheur n’en fait pas moins lacueillette de quelques saumons survivants…

      Courants contraires
-   Au Cambodge, leVoyageur assiste au feu d’artifice sur le Mékong, à l’occasion de la fête del’eau à Phnom Penh, avant d’évoquer les effets de la mousson sur les crues descours d’eau et des lacs.
-   Cette évocationrecoupe celle des massacres imputables aux Khmers rouges.
-   Très remarquable récit là encore.

   10570402_10204631354290648_8814071689730218919_n.jpg Le travail des anges
-   Le Voyageur se retrouve à Trebic, près de l’égliseSaint Martin et nonloin du cimetière juif dont s’occupe le vieux Pavlik, ancieninstituteur non juif.
-   Il est làé comme ungardien de mémoire, car il est question de désaffecter ce cimetière où reposentplus de 11.’’’ Juifs.
-   Il est visiblementmarqué par la réflexion selonlaquelle les anges du Tout Puissant ont regardépasser les trains de déportés vers les camps d’extermination sans broncher.

   Dans la forêt de colonnes
-   Devant la citerne géante de Yerebatan, en la basilique souterraine de Justinien, au milieu de laforêt des colonnes, le Voyageur observe le curieux manège d’un visiteur quis’immerge après avoir jeté une pièce dans l’eau, qu’il entreprend ensuite deretourner.
-   Scène étrange en celieu, comme beaucoup d’autres scènes de ce livre en d’autres lieux…

     La beauté des ténèbres
-   Le Voyageur se décritlui-même en train de scruter, avec ses instruments d’astronomie, la galaxiespirale de la Chevelure de Bérénice, qui a mis quelque 44 millions d’annéespour arriver du fond de l’espace à cet observatoire pseudo de Haute-Autriche.
-   La séquence est assezvertigineuse, finalement traversée par le cri d’une chouette hulotte rappelant que le ciel communique avec la terre…


   Tombé du ciel nocturne
-   À Jaipur cette fois,du toit en terrasse de l’hôtel dit Le Palais des Vents, le Voyageur assiste àl’envol de milliers de cerfs-volants à l’occasion de la fin de l’hiver.
-   Le récit de la chuted’une roussette, blessée par l’armature aiguisée d’un cerf-volant, corse lerécit de manière significative, comme l’épisode des renards volants…

   Le pianiste
-   Il y a du conte trèsplastique, à la japonaise, dans cet épisode faisant intervenir un très petitpianiste, assis comme un enfant à un grand piano, tandis que l’air extérieur vibre au chant des cigales.
-   Le reste se ressentplus qu’il ne se décrit, comme souvent au fil de ces pages subtiles, à la foisréalistes et irréelles.
    
     La chance et l’océan calme
-   Le Voyageur, dans unquartier populaire de Valparaiso, observe un type qui lui semble un vendeur debillets de loteries au vu du collier de tickets qu’il porte autour du cou.
-   Or ces billets ne sont pas à vendre mais représentent la collection des billets non gagnants rassemblés par le type en question.
-   Tout cela sur f

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ond de réalité chilienne non détaillée au demeurant…

  Les règles du paradis
-   Suit le plus long récit du livre, de presque vingt pages, évoquant la saga fameuse des révoltés du Bounty, alors que le Voyageur se trouve sur l’île perdue de Pitcairn où lesmutins ont fini par débarquer et crever après moult tribulations.
-   L’on en apprend plus sur l’aventure de Fletcher Christian et de ceux qui l’ont assisté, puis le
Voyageur interrogecertains des descendants des forbans et se balade le long des falaises à-pic del’île.
-   Il y a là-dedans un mélange de souffle épique et de sauvagerie où les fantasmes paradisiaques à la Rousseau en prennent un rude coup.
Tout cela très fort,toujours inattendu et intéressant, d’une expression limpide et comme nimbéed’étrangeté ou de mystère.
Loin est ici àmi-parcours de ce livre sans pareil.

      La face cachée du salut
-   L’apparition d’ungilet de sauvetage rouge, au bord d’un champ d’épaves de l’Océan indien,prélude à l’évocation du drame qui a coûté la vie à l’équipage d’un cotredisparu. Dont l’épave seule, intacte, réapparaît ensuite. Geste rituel d’uneHindoue versant de l’eau du Gange dans l’eau où reposent les noyés.
     
      Le non-mort.
-   Ensuite on se retrouvesur la Place Rouge, à Moscou, où sept couples de jeunes mariés attendent de sepointer dans le mausolée de Lénine.
-   Diversesconsidérations devant la dépouille irréelle du révolutionnaire devenu dictateur.
      
   Visiteurs au parlement.
-   Après la visite à lamomie russe, le Voyageur observe un vieux type, pieds nus, dans la file descurieux se pressant à l’entrée du Reichstag de Berlin.
-     Les pieds nus de l’original intriguent unepetite fille et mettent en évidence, sans peser, l’aspect étrange voire absurde de cetteprocession.

    yue-minjun-execution.jpeg  Nu dans l’ombre
-   De nombreux récits durecueil ont une connotation politique. Sans discours à ce propos.
-   Ici, c’est un hommenu, dans la cours d’une prison psychiatrique, dans la Grèce des colonels.
-   Le cri du type déchireet signifie, sans besoin d’autre commentaire.
-   Cependant la scène estminutieusement détaillée, avec quelque chose de très oppressant.
   
      Un requin dans le désert
-   Sur une route côtièrede la mer Rouge, le Voyageur remarque un arbre couvert de petits fanions, luirappelant les drapeaux de prière tibétains. Mais la comparaison s’arrête là carces chiffons n’ont rien de sacré.
-   Puis on se retrouve aumarché aux poissons d’Al Hudaydah, et ensuite sur les lieux d’un accident detriporteur dont le conducteur débite le requin qu’il transportait.

    303671016.2.jpg Sang
-   Le Voyageur se remémore son enfance en Autriche, après le massacre, par la police, d’un garçon sauvage du lieu.
-   Ivre, le lascar avait profané un monument aux morts de la guerre, et les anciens combattants l’ont dénoncé.
-   Le Voyageur étaitalors enfant de chœur, et il évoque le drame à la manière d’un Thomas Bernharddans ses récits de faits divers.
-   Les traces de sangdans l’église ont marqué la mémoire du narrateur.

     Arche de lumière
-   Le Voyageur seretrouve à Sydney où il observe l’ascension de l’arche gigantesque du HarbourBridge, par un type dont il croit qu’il va se suicider.
-   Puis la ville estfrappée par une panne d’électricité géante.
-   Il croit voir« la phase terminale d’un chemin de vie ».
-   Mais c’est comme une erreur d’optique, ou comme une façon d’accommoder la vision, fréquente chez CR.
      
      Seconde naissance
-     À bord d’un brise-glace russe à l’arrêt sur labanquise, un pilote d’hélico convie ingénieurs et matelots à fêter sa secondenaissance après le crash de son appareil.
-   Cela se passe vingtans après le récit de la découverte de la Terre François-Joseph, qu’il aévoquée dans Les effrois de la glace etdes ténèbres.
-   Très belle évocationd’une ourse polaire et de ses petits (p.274)
    
     Le dieu de glace.
-   Le Voyageur évoque ledésarroi d’un petit garçon qui voit fondre la tête d’un bonhomme de neigeconservé dans un congélateur.
-   La scène se passedevant un manoir du comté de Cork.
-   Le père et le fils finissentpar éclater de rire à la vision de la tête fondue.
-   On n’en saisit pasmoins l’importance magique de cette têtede neige…


    Le prêcheur.
-   Se la jouant Jésus et les marchands du temple, un prêcheur invective les petits commerçants ukrainiens et caucasiens dont les cahutes envahissent la pelouse du grand stadedu Dixième anniversaire, construit en mémoire du soulèvement de Varsovie.
-   La scène est assez emblématique, typique de la Pologne de la fin des années 80.
-   Je me rappelle une manifestation patriotique monstre dans le même stade, pendant les années de plomb.
       
   Un photographe.
-   Un cantonnier en train de creuser une fouille, devant une maison bleu pâle de la ville dominicaine dePuerto Plata, est prié par une dame de la prendre en photo avec deux types.
-   Une pancarte vientd’être posée devant la maison, annonçant l’ouverture d’un cabinetd’hypnotiseur.
-   Le cantinier, aprèsavoir tenu l’appareil de photo en ses mains, se dit que peut-être sa vie auraitpu être tout autre…
-   Là encore, la banalitéd’une scène se charge d’étrangeté et de sens plus profond.
       
   Pacifico, Atlantico.
-   Le Voyageur se retrouve à 3400 mètres d’altitude, juste au-dessous du cratère de l’Irazu, levolcan le plus dangereux du Costa Rica.
-   Il se trouve là dansl’espoir de voir l’oiseau quetzal, mais le brouillard est au rendez-vous.
-   Il est aussi question du pèlerinage à la Vierge noire, la Negrita.
    
    Love in vain.
-   Dans une clairière de la mangrove, sur la côte est de Sumatra, le Voyageur surprend une scène un peusurréaliste de karaoké sans public, dont le chanteur (aveugle) interprète untube des Rolling Stones,
-     Comme à chaque fois, ce n’est jamais lepittoresque qui est recherché par le Voyageur, mais l’étrangeté, le mystère, lamagie d’une situation où nature et culture ne cessent de s’interpénétrer.(p.300)

      La menace
-   En Malaisie, le Voyageur est confronté à la chasse aux trafiquants de drogue,menacés de mort.
-   Raconteun contrôle à la douane, où son bus est vidé de ses occupants et immobilisélonguement.
-   Une jeune femme est contrôlée plus sévèrement que les autres.
-   Puis elleregagne sa place dans le bus. Mais personne ne vient s'asseoir près d'elle...
      
    Présumé coupable
-   Puis on se trouve en Afrique du Sud.
-   Le buss'est arrêté auprès d'une pancarte proclamant : Hang em !
-   Il estquestion d'un flic blanc, soupçonné de meurtre. Mais rien n'est sûr.
-   Des conversations contradictoires suggèrent le climat du moment, plus à cran que jamais...
    
   Enfant (kuffer v1).jpg Dimanche blanc
-   Où il est question de la prochaine communion d'une petite fille.
-   Que son père accompagne dans un magasin de chaussures, sans cesser de critique cette dépense, et cette fête, non sans charrier la vendeuse de mufle manière .
-   La grossièreté du type me rappelle tout à fait certaine Autriche. Le con.
-   Et comme elle raison, la petite fille, de refuser de porter les godasses !
     
      La pêcheuse à la ligne
-   Une autrepetite fille, à Katmandou, avec une canne à pêche.
-   Elle setrouve là au milieu des bûchers, sur lesquels crament des cadavres.
-   Elle pêche, à l'aimant, des bijoux tombés des bûchers.
       
    Le vase chinois
-   À Santiago duChili, dans un jardin retiré, le Voyageur tombe sur une vase chinois genreMing, de trois mètres de haut.
-   L'ambiance est à la préparation d'une garden-party.
-   À un momentdonné, un employé du personnel de service déplace le vase, qui semble nepeser rien.
-   L'objet doit êtrede papier.
-   Le détailchange tout de ce qu'on perçoit de la séquence...
     
   Verdier130003.JPG  Calligraphes
-   Au bord du lac de Kunming, au nord-ouest de Pékin, des calligraphes recopient des poèmes Tang sur de grandes pierres, se servant d'eau en guise d'encre. De sorteque le soleil fait s'évaporer tout ce qui s'écrit.
-   Merveilleuse évocation là encore, sans rien de kitsch...
     
      Pèlerins
-   À l'extrême -sud du Sri Lanka, sept ans après le tsunami qui a fait 7000 morts,Sameera le conducteur de tuk tuk raconte son histoire.
-   Evoque lesort précaire des humains sur cette terre.
-   Le vieil ermite, et ce lieu édénique où l'homme brille par son absence... (P.336-347)
       
    Consolation des affligés
-   Aux portes de l'hospice psychiatrique de Steinhof (cf. Thomas Bernhard), quelques dévots psalmodient.
-   - Rappelle le passé, de très sinistre mémoire, du plus grand asile d'aliénés dumonde, qui comptait 4800 lits médicalisés à sa grande époque.
-   Et comment les nazis déportèrent ou liquidèrent les individus jugés"indignes de vivre".
     
     Le ténor
-   Le Voyageur se retrouve dans un hôtel de Mourmansk, "les yeux braqués sur le chaos blanc".
-   Décrit la décrépitude du lieu, aux eaux complètement polluées par ledémantèlement des sous-marins nucléaires, notamment.
-   Sur cet arrière-fond apocalyptique, suit une émission de télé consacrée à unconcours de chant.
-   Oùs'illustre un ténor anglais amateur, interprète glorieux de Puccini...
     
      Homme sans soleil  
-   Dans un pub du comté de Cork, desouvriers se racontent l'histoire d'un tailleur de pierre qui a juré de cesserde boire.
-   lest d'ailleurs là. L'entrepreneur allemand qui les emploie a juré de le virers'il arrivait une fois de plus en retard.
-   Il va donc se préparer au réveil du lendemain, sans se rendre compte du faitqu'il a une nuit d'avance.
-   Unehistoire dingue qui rend très bien certain climat de folie arrosée àl'irlandaise...
     
      Ralenti
- Sur la côte pacifique du Costa Rica, un paresseux tombe d'un arbre et s'écrase au pied d'une femme en train de repasser une chemise blanche.
-   La femme éclate de rire et le petit chien qu'il y a là montre son vif mécontentement à l'animal griffu, qui se traîne lamentablement au sol, cherchant l'ombre de la forêt...
-     
      Le chasseur de varan
-   À Java Timur, tout un attroupement de gens se fait au lieu d’un accident, autour d’un conducteur de mobylette couché au sol.
-   Unefillette hurle et l’on voit un varan ficelé sur le véhicule, lui aussi blessé.
-   Puisun homme en pagne soulève la fillette au-dessus du sol, comme le font ensuiteplusieurs spectateurs, et la fillette cesse de hurler et rit comme une folle.

   Blueeyes.jpg  Avis de tempête.
-   Le Voyageur se rappelle avoir vu deux bras gracile d’une femme étendre du linge,tandis qu’un orage s’approchait de Roitham en Haute-Autriche.
-   Unorage qui arrache le toit de la plus grande demeure du village, dont le contenu du grenier s’envole et retombe dans la cour.
-   Ily a là des drapeaux nazis et un grand portrait d’Adolf Hitler en chevalierteutonique.
-   Comme le retour du refoulé…

     Une fin du monde
-   Dans une flambée apocalyptique s’effondrent la Bank ou China et toute une série d’établissements bancaires, cramant sur la mer de Chine à Hong Kong.
-   Ce ne sont évidemment que des maquettes de bois qui flambent sur l’eau.
-   Magnifique évocation,une fois de plus, d’une fête populaire local, ici à la gloire du ciel Tin Han,déesse de la mer de Chine orientale.
-   Le Voyageur a participé à une rencontre de poètes et écrivains occidentaux et chinois.
-   Ce qu’il en tire n’a rien de convenu au demeurant…

      Le chien de berger
-   On est maintenant en Lycie, dans le Taurus occidental.
-   Le Voyageur se rappelle la guerre de Troie.
-   Un chien le conduit aulieu d’une coulée de terre, d’où émerge un sarcophage.
-     Là encore les vestiges du lointain passésuscitent une ré-actualisation étonnante.
      
     À l’ombre de l’homme-oiseau.
-   Retour à l’île dePâques, où le Voyageur chemine jusqu’à la baie d’Anakena.
-   Là que ce serait établie la première colonie humaine.
-   Il approche d’uneferme où pourrit une charogne de cheval.
-   Surgit ensuite untroupeau de bovins hurlant de faim.
-   Il va pour les abreuver et rencontre une femme, avant de développer un récit épique relatif àun ancien rite divin.
-   Fabuleuse plongée là encore. (p.400-411)

    Scènes de chasse
-   Où il s’agit, en premier lieu, du jeu cruel d’unchat avec un oiseau.
-   Cela se passe au bord du Parana, dans un poste d’essence dont le patron est soupçonné de trafic decoke.
-   Les deux histoires, dujeu du chat et de la disparition du trafiquant, se mêlent en contraste.
-   Et l’épisode finit parle défilé de colonnes de fourmis à côté de l’oiseau mort.

   Le scribe
-   Trois hommes et trois femmes se trouvent engagés dans une expédition à travers le Tibet oriental,déclaré zone dangereuse en ces jours précis ; mais ils sont déjà en route.
-   Les témoins éventuelsde la répression policière chinoise contre les moines tibétains ne sont pas lesbienvenus ( !)
-   Ils vont découvrir desinscriptions, sur des pierres, datant de siècles.
-   Puis ils découvrent untrès jeune scribe, dont on comprend que lui aussi écrit depuis des siècles…

Perles.jpg   Transgression
-   Une jeune nageuse évolue dans une piscine bleue, au milieu d’un jardin nocturne de Bali.
-   Cela se passe à Nyepi,lors d’une fête exigeant l’obscurité totale.
-   Et là, des nuées depapillons son attirés par la lumière de la piscine…
-   Les papillons menacésde noyade se réfugient sur le dos de la jeune fille.
-   Il est question despierres du ciel tombées d’un certain volcan.
-   Les images se mêlentune fois de plus…

     Silence
-   Sur la côte est de SriLanka, un troupeau d’éléphants. C’est le soir de Noël.
-   Le troupeau n’est que l’avant-garde d’une immense colonne de 200 éléphants sauvages, fuyant la guerrecivile entre forces gouvernementales et tigres tamouls
-   Là encore se combinentl’observation d’un premier plan et la situation politique en crise du moment,sans le moindre commentaire au demeurant.
     
    Fillette sous l’orage d’hiver
-   Au bord de l’Inn, une fillette de six ou sept ans cherche la main de son frère aîné, mais celui-ci reste distant.
-   Il est question d’un père qu’on doit aller chercher à la taverne.
-   Le grand frère joues on rôle.
-   À un moment donné, la fillette, dans la nuit, fait l’expérience de l’épouvante.
-   La trace de la nuit entre danger et lieux de protection prendra, avec le temps, une dimension poétique particulière aux yeux du Voyageur.

Samivel4.JPG   L’arrivée
-   Dans l’ouest de l’Himalaya, à 4000 mètres d’altitudes, le Voyageur voit trois moines quimarmonnent de concert dans une grotte.
-   De très jeunes moines.
-   Qu’il découvre aprèsdes heures de marche difficile, jusqu’au lac de Phoksundo, près du village de Ringnmo.
-   Après un premier arrêtau village, son compagnon le persuade, malgré leur fatigue, de monter jusqu’à àune grotte où ils découvrent les trois jeunes moines.
-   Qui leur offrent du thé salé au beurre de yak.
-     La nuit tombe au pied des 6000, et, dans unesorte de sérénité, le Voyageur note encore ceci : « Je me sentais à l’abri comme en ces temps révolus où l’on me portait au lit soir après soir : par une fente de la porte qu’on laissait entrouverte à cause de ma peur du noir, jevoyais un rai de lumière et j’entendais chuchoter dans la pièce d’à côté lesadultes qui me protégeaient. Lorsqu’une étincelle sauta de la cendre blanche comme neige et s’éteignit en vol dans l’obscurité froide de la grotte, je m’endormis. À présent j’étais arrivé. ( P.455)

1941565_10206467175545032_552232758446146429_o.jpg(Première lecture de ce livre sublime achevé au soir du 18 avril 2015, alors que Lady L. volait vers les States)

Une lumière dans la nuit

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12489440_10208389506682109_2625031243618855586_o.jpg

Une lecture de La petite lumière d'Antonio Moresco

Un effroi d’enfance nous reprend parfois lorsque nous ouvrons les yeux dans le noir de la nuit, ou dans le silence blanc du jour, et c’est l’intense sensation physique, et métaphysique à la fois, qui nous saisit dès les premières pages de La petite lumière d’Antonio Moresco, qui ne nous quittera pas après avoir traversé ce livre ouvert entre deux infinis.

Le narrateur se trouve comme au bord du ciel, dans un hameau désert des monts boisés où il s’est retiré on ne sait pourquoi et d’où tous les soirs, la nuit venue, il aperçoit, au flanc de la montagne d’en face, une petite lumière. Et tout de suite cela nous parle, à l'intime, nous incitant alors à nous approprier personnellement le récit.

Je me suis donc rappelé, en lisant les premières pages de La petite lumière, cette nuit d’il y a une trentaine d’années où nous nous trouvions dans un tout petit refuge de montagne, avec des amis. Or, tandis qu’ils dormaient je m’étais relevé, bien après Minuit, attiré par je ne sais quoi sous la voûte prodigieusement étoilée formant comme un dôme au-dessus des rochers et des glaciers blêmes, jusqu’à la cime baignée là-haut de clarté lunaire ; et la sensation d’infini que j’éprouvais alors s’était mêlée à celle de n’être rien que chair mortelle; et je pensai aux cendres de notre ami que nous répandrions, le lendemain, du sommet de la montagne dans les couloirs verglacés de la face nord où, un mois plus tôt, notre compagnon de tant d’équipées s’était tué.

L’homme de La petite lumière s’est retrouvé là on ne sait pourquoi. Installé dans une maison de pierre et de bois au toit d’ardoises, il ne fait rien d’autre que songer et cheminer entre son logis et le petit cimetière aux lumignons, en contrebas, observant la nature avec une sorte d’attention exacerbée par ses poussées végétales et ses combats silencieux – on se rappelle, dans la foulée, le récit de Dino Buzzati évoquant les massacres muets qui se perpétuent, chaque nuit, entre insectes féroces et autres rongeurs sans pitié, dans les prairies aux airs tout sereins et bucoliques; et c’est dans l’inquiétante étrangeté de cedésert, au sens où l’entendaient ermites et moines d’antan, que, la nuit venue, le solitaire perçoit la petite lumière comme un signe de Dieu sait quoi.

L’homme étant ce qu’il est, sorti de la nature comme on sait, mais sans savoir pourquoi, voudrait le savoir cependant et s’expliquer, en l’occurrence, ce que signifie par exemple, là-bas, cette petite lumière.

Ainsi va-t-il aux renseignements, comme on dit. Or comme il y a, dans les environs, d’autres hameaux habités, il y va de son enquête, sans obtenir de réponse sur la nature de cette lumière, sinon d’un paysan à l'accent étranger ferré en matière de visiteurs de l’espace, qui a observé de ses yeux divers phénomènes dont l’apparition d’un grand œuf de lumière...

Mais c’est ensuite au lieu enfin repéré de la source de lumière, dans un hameau aussi désert que le sien, que le solitaire enquêteur découvre la vérité sur la source de la petite lumière, en la personne d’un enfant au crâne rasé dont la réserve farouche lui en en impose d'abord.

L’enfance de l’art requiert la plus grande simplicité, et l’on sait l’importance de l’Objet, qui a souvent valeur de symbole, dans les contes, et c’est tout l’art d’Antonio Moresco, de combiner, dans La petite lumière, qu’on pourrait relier à la filiation du réalisme magique, ou métaphysique, de la littérature ou de l’art italiens, un parfaite limpidité apparente, bien tangible et concrète, et comme nimbée de mystère et d’ombre éblouissante, si l’on ose dire, et les éléments tout à fait ordinaires et concrets d'un récit précis.

On pourrait dire aussi, pour creuser plus profond, que l’enfant de La petite lumière figure à la fois notre en deça et notre au-delà, la rencontre du protagoniste avec le petit garçon pouvant se lire, aussi, comme une rencontre avec ce que nous avons été où la projection de ce que nous serons dans quelque au-delà imaginaire.

« La petite lumière sera comme une luciole pour les lecteurs qui croient encore que la littérature est une entreprise dont la portés se mesure dans ses effets sur l’existence », lit-on sur la quatrième de couverture de ce grand petit livre traduit de l’italien de façon probe, sans enjoliver la langue-geste sans fioritures de Moresco, par Laurent Lombard, et l’on devrait en citer in extenso le vingt-quatrième de ses brefs chapitres (pp.106-107) pour mieux faire sentir l’effet possible de cette prose sur notre existence.

La petite lumière paraît, aux éditionsVerdier, dans la collection intitulée Terra d’altri, où l’on relève les noms de Francesco Biamonti et d’Erri De Luca,d’Elsa Morante ou de Mario Rigatoni Stern, entre autres « autres » terriens affiliés à ce que Georges Haldas appelait la « société des êtres ».

Or il faudra revenir sur le parcours singulier d’Antonio Moresco, dont vient de paraître un nouvel ouvrage traduit à la même enseigne, mais dans l’immédiat s’impose la citation du début de ce vingt-quatrième chapitre de La petite lumière, qui en indique assez la tonalité pascalienne et la tonne musicale particulière :
« Comment savoir si au-dessus du ciel il y a un autre ciel ? », je suis en train de me demander, assis devant le précipice. Du moins celui qu’on voit d’ici, de cette gorge, au-dessus de cet agglomérat de maisons et de ruines abandonnées. Comment savoir si la lumière n’est pas elle aussi à l’intérieur d’une autre lumière ? Et quelle lumière ça peut bien être, si c’est une lumière qu’on ne peut pas voir ? Si on ne peut même pas voir la lumière, qu’est-ce qu’on peut voir d’autre ? Comment savoir si la matière dont se compose l’univers, tout du moins le peu qu’on réussit à percevoir dans l’océan de la matière et de l’énergie noire, n’est pas à l’intérieur d’une autre matière infiniment plus grande, et si la matière et l’énergie noire ne sont pas à leur tour à l’intérieur d’une obscurité encore plus grande ? Comment savoir si la courbure de l’espace et du temps, si courbure il y a, si temps il y a, ne sont pas eux aussi à l’intérieur d’une courbure plus grande, un espace plus grand, un temps plus grand, qui vient avant, qui n’est pas encore venu ? Comment savoir pourquoi ça s’est arrangé comme ça, dans ce monde ? Est-ce que c’est comme ça partout, s’il y a un partout, dans ce déchaînement de petites lumières qui percent le noir dans cette nuit froide et dans l’obscurité la plus profonde ? »

Antonio Moresco. La petite lumière. Traduit de l’italien par Laurent Lombard. Verdier, coll. Terra d’altri, 122p.

Ceux qui se retrouvent au Spital

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Celui qui demande au Bosniaque quelle ligne de bus conduit au Spital / Celle qui a mis son joli tailleur turquoise pour rendre visite à sa cousine Frieda qui vient de se faire tout enlever / Ceux qui ont acheté des roses avec des bons de l’amicale du Cor des Alpes / Celui qui dans le 19 est assis à côté d’un Noir à dreadlocks qui lui raconte le lupus de son frère de lait / Celle qui craint de revoir sa mère par trop diminuée eu égard à son physique de championne de patin aux jeux olympiques d’Helsinki / Ceux qui se rappellent que le Spital (hôpital en langue civilisée) jouxte le Friedhof (cimetière) / Celui qui entame une conversation à caractère politique avec le Bergamasque en pyjama vert / Celle qui éclate en sanglots bruyants en découvrant l’homme de sa vie enveloppé de bandelettes / Ceux qui s’en fument une sur la grille d’aération de la chambre froide / Celui qui estime que le Dieu trinitaire ne peut que réserver un sort privilégié à un croyant pourvu d’un testicule de plus que le chrétien banal / Celle qui se fait surprendre en train de s’approprier le super bouquet qui restait dans la chambre de la défunte en voie de remise en ordre / Ceux qui opinent du bonnet en écoutant le patriarche macédonien qui vaticine sur sa chaise roulante sans se douter que sa sonde perd du liquide / Celui qui se retient de glisser une main preste sous la blouse verte de la Quebecoise tout en chair / Celle qui vient d’atteindre le degré 3 du Sudoku quand on lui apprend le résultat de son dernier IRM / Ceux qui se confient des secrets de mecs dans le clair-obscur jaune de l’insomnie / Celui qui trouve aux jeunes infirmiers le même érotisme latent qu’aux jeunes cuisiniers / Celle qui exerce son acrimonie sur les aides-soignantes maliennes au point de s’attirer les foudres du patron kényan / Ceux qui confessent leurs pensées impures à l’aumônier sarde qui se retient juste de leur conseiller une bonne secousse avant de revenir à Jésus l’âme pure / Celui qui retrouve la beauté de l’humain en observant son voisin de lit qui s’excuse d’en chier tellement / Celle qui chante Purcell pour la chambrée de sa voie de colorature / Ceux qui savent qu’ils ne sortiront du Spital que pour entrer au Friedhof, etc.

Image: Philip Seelen

Mon penchant

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…Ce n’est pas tant un moyen terme qu’une pente personnelle, entre le précipité vertical de la foudre et l’immanence méditative des lacs d’Engadine, c’est de la même façon que j’ai toujours gardé à l’esprit la solution tierce qui dépasse, au sens où le comprend le Tao, les limites solipsistes du bilboquet ou la mécanique un peu énervante à la longue du ping-pong - bref l’expérience m’a enseigné qu’il n’y a que la diagonale pour accéder aux arêtes de ma préférence où tu chemines, calmos, entre deux abîmes…
Image : Philip Seelen

Mes échappées libres

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Carnets de JLK: bilan de dix ans de blog. 4515 textes. 803 à 999 visites par jour ou nuit. Avant d'autres arborescences sur Facebook..

 

Il y a dix ans, dès juin 2005, que j’ai entrepris la publication quotidienne de mes Carnets de JLK, (http://carnetsdejlk.hautetfort.com) comptant aujourd’hui 4515 textes et visités chaque jour par 800-1000 lecteurs fidèles ou renouvelés, dont la plupart me sont inconnus alors que de vraies relations personnelles se sont établies avec quelques-uns, parfois fructueuses. 

Sans les avoir jamais rencontrés, je me suis fait d'occasionnels complices de Raymond Alcovère et de Bona Mangangu, dont j'ai rendu compte des livres dans le journal 24Heures, comme aussi de Philippe Rahmy et de François Bon, dont on connaît le travail considérable sur Remue.net et Tierslivre, à côté de son oeuvre d'écrivain; en mars 2008 de Pascal Janovjak, à Ramallah, avec lequel j'ai échangé une centaine de lettres, en ligne sur ce blog - expérience reprise récemment avec fruit dans un échange d'épistoles avec Daniel Vuataz, jeune auteur vaudois. De même ai-je apprécié les échanges avec Frédéric Rauss, Françoise Ascal, Bertrand Redonnet en Pologne, Jalel El Gharbià Tunis, Miroslav Fismeisterà Brno, Philippe Di Mariaà Paris - ces cinq derniers blogueurs-écrivains ayant apporté leur contribution au journal littéraire Le Passe-Muraille, et je ne dois pas oublier quelques fidèles lecteurs, dont Michèle Pambrun ou les pseudonommés Feuilly et Soulef, entre beaucoup d'autres... et je pourrais citer désormais les nombreux liens personnels nouveaux établis ou relancés via Fabebook, notamment avec les écrivains Helene Sturm et Lambert Schlechter, Jacques Perrin ou Pierre-Yves Lador,  Alain Bagnoud ou Jean-Michel Olivier, Sergio Belluz et Philippe Lafitte, Jacques Tallote ou Janine Massard, les libraires Claude Amstutz et Jean-Pierre Oberli, les lectrices amies ou amis Anne-Marie Gaudefroy-Baudy et Anne-Marie Brisson, Fabienne Kiefer-Robert, Gio Bonzon et Jacqueline Wyser, ou, plus récemment, Maveric Galmiche, Ben de Saint Phalle ou Chantal Quehen, Mira  Kuraj, Myriam Matossi, Martine Desarzens, Lex David ou Jérôme Génitron Ruffin, Jacqueline Thévoz et Florian R***, notamment.

Journal intime/extimeRichesHeures1.jpg

Jamais, à vrai dire, je n’aurais imaginé que je prendrais tant de goût à cette activité si contraire apparemment à la silencieuse et solitaire concentration que requiert l’écriture. Or restant à l’écart du clabaudage souvent insane, vide ou vulgaire qui s’étale sur le réseau des réseaux, il m’est vite apparu que tenir un blog pouvait se faire aussi tranquillement et sérieusement, ou joyeusement selon les jours, en toute liberté ludique ou panique, que tenir un journal intime/extime tel que je m’y emploie depuis 1966 d’abord de façon sporadique puis avec une régularité et une densité croissantes, rédigé depuis 1973 dans une quarantaine de carnets noirs à tranche rouge de marque Biella, dont la dactylographie et les enluminures remplissent une vingtaine de grands cahiers reliés de fabrication chinoise – l’ensemble redécoupé ayant fourni la matière de quatre livres représentant aujourd'hui quelque 1500 pages publiées, dans L’Ambassade du papillon et Les passions partagées, Riches Heures et, tout récemment, Chemins de traverse.

BookJLK17.JPGBlog-miroir et blog-fenêtre

A la différence de carnets tenus dans son coin, le blog est une pratique qui a ses risques, essentiellement liés au fait qu’on écrit quasiment sous le regard du lecteur et en temps presque réel. L’écriture en public, parfois mise en scène dans tel ou tel salon du livre, m’a toujours paru artificielle, voire grotesque, et je ne me sens pas du tout porté, à l’ordinaire, à soumettre au regard anonyme un texte en cours d’élaboration, dont je réserve l’éventuelle lecture à ma seule moitié ou à quelque autre proche.

 

 Si je me suis risqué à dévoiler, dans mes Carnets de JLK, une partie des notes préparatoires d’un roman en chantier, et l’extrait d’un ou deux chapitres, je me garderai bien d’en faire plus, crainte d’être déstabilisé d’une manière ou de l’autre.Mais on peut se promener à poil sur une plage et rester pudique, et d’ailleurs ce qu’on appelle le narcissisme, l’exhibitionnisme ou le déballage privé ne sont pas forcément le fait de ceux qui ont choisi de « tout » dire. Ainsi certains lecteurs de L’Ambassade du papillon, où je suis allé très loin dans l’aveu personnel, en me bornant juste à protéger mon entourage immédiat, l’ont-ils trouvé indécent alors que d’autres au contraire ont estimé ce livre pudique en dépit de sa totale franchise. 

CarnetsJLK8.JPGTout récemment, un effet de réel assez vertigineux m'a valu, après sa lecture de Chemins de traverse, la lettre d'un tueur en série incarcéré à vie me reprochant d'avoir parlé de lui comme d'un mort-vivant, ainsi qu'on le qualifie dans la prison où il se trouve toujours. Or le personnage lisait visiblement ce blog avec attention. Cet épisode n'a manqué de me rappeler certaines précautions à prendre dans l'exposition de nos vies sur la Toile, mes proches en ont frémi et je tâcherai d'être un peu plus prudent dans ma façon d'aller jusqu'au bout de ce que je crois la vérité, en les ménageant un peu mieux...

Une nouvelle créativité

Si la tenue d’un blog peut sembler vaine (au double sens de l’inutilité et de la prétention vaniteuse) à un littérateur ou un lecteur qui-se-respecte, l’expérience personnelle de la chose m’a prouvé qu’elle pouvait prolonger, de manière stimulante et enrichissante, voire libératrice du point de vue du jaillissement des idées et des formes, une activité littéraire telle que je la pratique, partagée entre l’écriture continue et la lecture, l’ensemble relevant du même atelier virtuel, avec cette ouverture « inter-active » de plus.Ayant toujours été rebuté par la posture de l’homme de lettres confiné dans sa tour d’ivoire, autant que par l’auteur en représentation non-stop, et sans être dupe de la « magie » de telle ou telle nouvelle technologie, je n’en ai pas moins volontiers pris à celle du weblog sa commodité et sa fluidité, sa facilité de réalisation et son coût modique, sans éprouver plus de gêne qu’en passant de la « bonne vieille » Underwood à frappe tonitruante à l’ordinateur feutré. Bref, le blog n’est pas du tout pour moi la négation de l’écrit : il en est l’extension dont il s’agit de maîtriser la prolifération; et Facebook est aujourd'hui un nouveau vecteur qui étend, exponentiellement, les relations virtuelles d'un blog, jusqu'aux limites de l'insignifiance océanique. J'ai actuellement près de 4000 amis sur Facebook. La bonne blague ! 

De l’atelier à l’agora

Cabane.jpgMichel Butor, dans l’évocation de sa maison A l’écart, parle de son atelier à écrire comme le ferait un artisan, et c’est ainsi aussi que je vois l’outil-blog, entre le miroir et la fenêtre, le capteur nocturne (ah le poste à galène de mon grand frère !) et l’émetteur privé (ici Radio Désirade…), dans le tourbillon diffus et profus de l’Hypertexte.

 

Un blog est enfin une nouvelle forme de l’Agora, où certains trouvent un lieu d’expression personnel ou collectif à caractère éminemment démocratique (d’où la surveillance bientôt organisée que lui apliqueront les régimes autoritaires), une variante du Salon français à l’ancienne qui voit réapparaître le couple éternel des Verdurin, ou le dernier avatar du Café du commerce.N’ayant plus trop le goût des chamailleries littéraires ou idéologiques, et moins encore celui de la tchatche pour ne rien dire, je me suis gardé d’ouvrir ce blog à trop de « débats brûlants », et c’est ainsi qu’en un an les commentaires (4610 à ce jour) n’ont guère proliféré ni jamais tourné à la prise de bec ou de tête. Tant pis ou tant mieux ? Quoi qu’il en soit la nave va...

Du blog au livre. Réponse à Jacques Perrin et Raphaël Sorin.

Elle va même si bien qu'au début de mai 2009, une partie du contenu de ce blog a fait l'objet de la publication d'un livre, sous le titre de Riches Heures, constitué comme un patchwork et qui essaie de rendre le son et le ton de ces notes quotidiennes dans la foulée des deux gros volumes de Carnets que j'ai publiés chez Bernard Campiche et qui ont fait l'objet de deux prix littéraires appréciables en Suisse romande. Sans la proposition de Jean-Michel Olivier, directeur de la collection Poche Suisse aux éditions L'Âge d'Homme, d'accueillir un florilège tiré d'un corpus d'environ 5000 pages, il est probable que j'en serais resté au blog, étant entendu que mes carnets existent par eux-mêmes sur papier. 

Autant dire que l'exercice relève de l'essai, dont seul le lecteur jugera de la réussite. En ce qui me concerne, toute modestie mise à part, j'aime bien ce petit livre. C'est une manière d'autoportrait en mouvement à travers mes lectures du monde, il est plus facile à emporter le long des chemins qu'un laptop et j'y ai borné mes notes très personnelles, voire privées, à des fragments le plus souvent brefs et datés, reproduits en italiques.

RicheCouve.jpgMes Riches Heures ont paru avec le sous-titre Blog-Notes 2005-2008, mais ce n'est pas de mon fait, et je me demande si c'est une bonne idée... Dans une très généreuse présentation de ce livre sur son blog, Jacques Perrin (http://blog.cavesa.ch/) relève justement que la forme de ce livre reste tout à fait dans les normes conventionnelles du texte, sans l'iconographie et les multiples jeux qu'elle permet sur un blog, dont je ne me prive pas. Cela étant, je tiens à souligner le fait que les possibilités nouvelles de l'outil-blog ont été, dans le processus arborescent de mon écriture, une stimulation tenant à la fois à l'interactivité et aux virtulaités plastiques de ce support. C'est grâce au blog que j'ai amorcé, avec mon ami photographe Philip Seelen, le contrepoint image-texte du Panopticon, et c'est également grâce au blog que j'ai développé mes listes de Ceux qui, accueillies ensuite par l'édition numérique Publie.net de François Bon et son gang. Grâce aux réseaux de l'Internet, les 150 lettres que j'ai échangées avec Pascal Janovjak, jusqu'à la période dramatique de Gaza, ont pu exister quasiment en temps réel, et la question de leur publication éventuelle s'est posée à nous, mais leur non-publication ne les ferait pas moins exister.

Angelus Novus.net

Benjamin11.jpgEt c'est alors que j'aimerais faire une remarque, liée à une grande lecture, remontant à l'automne dernier, des écrits de Walter Benjamin resitués chronologiquement par Bruno Tackels dans son essai biographique paru sous le titre de Walter Benjamin, une vie dans les textes. On sait que, comme il en est allé de Pessoa, les textes de WB ont été publiés pour majorité après sa mort. Or il est possible que, comme le relève d'ailleurs Bruno Tackels, la publication sur le domaine public d'un bloc eût particulièrement convenu à WB. Je me le suis dit et répété en constatant que je m'étais éloigné, ces dernières années, du Système éditorial ordinaire, avec lequel WB a toujours eu un rapport délicat. Dieu sait que je ne me compare pas à ce génie profus, mais l'expérience est significative, que recoupe la récente auto-pubication du dernier livre de Marc-Edouard Nabe sur son site. 

Est-ce une alternative intéressante à l'édition mainstream ? Je n'en suis pas sûr du tout. Notre liberté devrait respecter la liberté de tout un chacun et j'aime assez qu'un jeune écrivain continue de rêver de gloire via Galligrasseuil !

J'ai été content, pour ma part, de publier mes Riches Heures sous forme de livre, mais le travail amorcé par François Bon & Co à l'enseigne de Remue.net et de Publie.net me semble ouvrir de nouvelles perspectives qui vont changer,je crois, le rapport de l'auteur avec le Système éditorial ou médiatique. Raphaël Sorin voit bien qu'un lecteur-critique-écrivain ne dénature pas forcément son travail en pratiquant l'art du blog - je dis bien l'art du blog, car c'est ainsi que je le vis, bien plus librement aujourd'hui que sur papier journal où le nivellement du Système se fait de plus en plus sentir au détriment de l'art de la lecture. 

Benjamin13.jpgMais il n'y pas que ça: quelque chose est en train de se passer dont nous pouvons, chacun à sa façon, devenir les acteurs. Walter Benjamin eût-il dit, comme Alain Finkielkratut, que l'Internet est une poubelle ? C'est fort possible. Mais j'aime aussi à penser qu'il l'eût écrit sur son Blog, à l'enseigne évidemment d'Angelus Novus.net.

Chemins13.jpgAu début de l'année 2012, un nouvel éditeur qui a l'âge d'un mec qui eût pu être mon fils, du nom d' Olivier Morattel, ayant publié un livre surpremamt, Au point d'effusion des égouts, d'un youngster qui aurait l'âge de mon petit-fils, nommé Quentin Mouron, m'a proposé de publier un livre avec lui sur papier bio. J'ai marché à l'enthousiasme. Ce vingtième livre de ma firme s'intitule Chemins de traverse et constitue le quatrième volume de mes Lectures du monde, représentant environ 4000 pages publiées. Le cinquième volet de cet ensemble devrait paraître en cette année 2013 chez un autre éditeur, sous le titre de L'Echappée libre, englobant les années 2007 à 2013 et rassemblant autant de textes inédits que de notes publiées aux quatre vents de la Toile...

3290233831.jpgEn avril 2014 paraissait L'échappée libre, qui  constitue la cinquième partie de la vaste chronique kaléidoscopique de mes Lectures du monde, recouvrant quatre décennies, de 1973 à 2013. Sa 4e de couverture précisait ce qui suit:  "À partir des carnets journaliers qu'il tient depuis l'âge de dix-huit ans, l'auteur a développé, dès L'Ambassade du papillon (Prix de la Bibliothèque pour tous 2001), suivi par Les Passions partagées (Prix Paul Budry 2004), une fresque littéraire alternant notes intimes, réflexions sur la vie, lectures, rencontres, voyages, qui déploie à la fois un aperçu vivant de la vie culturelle en Suisse romande et un reflet de la société contemporaine en mutation, sous ses multiples aspects.
Après Riches Heures et Chemins de traverse, dont la forme empruntait de plus en plus au "montage" de type cinématographique, L'échappée libre marque, par sa tonalité et ses thèmes (le sens de la vie, le temps qui passe, l'amitié, l'amour et la mort), l'accès à une nouvelle sérénité. L'écho de lectures essentielles (Proust et Dostoïevski, notamment) va de pair avec de multiples découvertes littéraires ou artistiques, entre voyages (en Italie et en Slovaquie, aux Pays-Bas, en Grèce ou au Portugal, en Tunisie ou au Congo) et rencontres, d'Alain Cavaier à Guido Ceronetti, entre autres. De même l'auteur rend-il hommage aux grandes figures de la littérature romande disparues en ces années, de Maurice Chappaz et Georges Haldas à Jacques Chessex, Gaston Cherpillod ou Jean Vuilleumier.

Dédié à Geneviève et Vladimir Dimitrijevic, qui furent les âmes fondatrices des éditions L'Âge d'Homme, L'échappée libre se veut, par les mots, défi à la mort, et s'offre finalement à "ceux qui viennent".

Illustration de couverture: Robert Indermaur.

Post scriptum de janvier 2016 : le recueil de mes Lectures du monde  englobant les années 2008 à 2012, est paru en février 2014 aux éditions L'Âge d'Homme. Depuis lors, trois nouveaux ouvrages ont été achevés, intitulé respectivement Les Tours d'illusion, La Fée Valse et La vie des gens. Enfin, sous le titre de Mémoire vive, un ensemble de mes carnets recouvrant les années 1966 à 2016 devrait paraître en l'an 2017, pour les 70 ans de l'auteur peut-être encore en vie, sait-on... 

 

L'âme tendre de Carver

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Au début de l’année 1994, trois livres publiés en même temps enrichissaient, par des nouvelles, des poèmes, des textes éclairants et les séquences écrites d'un film, notre connaissance du «Tchékhov américain».

Devant une volée d'étudiants célébrant la fin de leurs études, Raymond Carver, grand ivrogne repenti devant l'Eternel, mais pas tombé pour autant dans l'ornière des chattemites et autres simagrées de bénitier, se fit un jour le malin plaisir de commenter une phrase de sainte Thérèse d'Avila.

La sublime (et non moins redoutable) dame écrivait: «Les mots mènent aux actes.(...) Ils préparent l'âme, la mettent en condition, la poussent à la tendresse.» 

Et Carver de suggérer à son parterre de kids promis à la moulinette de la société moderne, de ne pas oublier ces deux mots apparemment démodés et qui nous renvoient au foyer ardent de toute vie personnelle, le mot «âme» («ou le mot esprit si le mot âme vous défrise», ajoutait-il gentiment) et le mot «tendresse».

Raymond_Carver-1.jpegDe Carver, né sur la côte nord du Pacifique en 1938 et mort du cancer en 1988, le lecteur de langue française, grâce à l'entremise passionnée d'Olivier Cohen, a pu découvrir successivement les recueils intitulés Les vitamines du bonheur, Parlez- moi d'amourTais-toi je t'en prie ou encore Les trois roses jaunes.

 

De ces recueils incontournables sont d'ailleurs extraites les neuf histoires groupées dans un des trois livres publiés tout récemment, lesquels constituent une nouvelle introduction à l'univers de Raymond Carver, maître reconnu de la nouvelle, mais aussi poète très attachant et remarquable commentateur de ses pairs, d'Hemingway à Richard Ford. 

La vie filtrée

images-13.jpegQu'il nous soit révélé par une de ses merveilleuses histoires douces-amères, où des gouffres insondables s'ouvrent soudain dans l'univers apparemment le plus ordinaire (l'étonnante Tais- toi, je t'en prie, tais-toi!), ou qu'il nous ouvre son atelier, Raymond Carver ne cesse de nous en imposer par la finesse de ses intuitions humaines et artistiques, son humilité d'artisan conteur, et le sérieux sans cuistrerie de ses observations sur l'art ou la simple vie. 

 

À cet égard, la lecture de N'en faites pas une histoire, préfacé par Tess Gallagher (le bon ange de Ray, qui le sauva de l'alcoolisme, l'épousa et veille amicalement sur la postérité de son œuvre tout en poursuivant la sienne propre), et réunissant des nouvelles de jeunesse, un fragment de roman, des poèmes, des essais (quelques très belles pages sur l'amitié) et autres articles consacrés à ses pairs, constitue à la fois un régal et un apport très éclairant. 

Unknown-4.jpegDans la foulée, c'est encore un autre regard complémentaire, et non moins révélateur, que nous offre la lecture des Short Cuts, tirés par Robert Altman (réalisateur) et Frank Barhydt (scénariste) de l'œuvre de Carver. Nul doute qu'au moment où le lion d'Or du Festival de Venise 1993 et le Prix d'interprétation pour l'ensemble des acteurs furent décernés au film d'Altman, l'âme tendre de Carver, sur son nuage de marshmallow, se réjouit comme nous réjouissent les histoires qu'elle a inspirées...  

 

(Cet article a paru dans la quotidien 24 heures en date du 4 janvier 1994).

Ceux qui se mêlent de tout

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Pour Lambert Schlechter, notre frère fripon en l’Abbaye de Thélème.

Celui qui se croit concerné par un peu tout / Celle qui embrasse les causes que le mal étreint / Ceux qui signent des manifestes et le font savoir / Celui qui lance comme ça qu’il ne veut pas s’enmêler et s’emmêle pourtant / Celle qui a appris de son voisin de palier (un certain Friedrich N***) que ce qui compte est la vivacité entretenue plus que la vie éternelle / Ceux qui lisent Insectes sans frontières dans la micheline de Sienne / Celui qui se dit savetier plutôt que financier au motif que ses livres non cotés en Bourse ont la souplesse artisanale et le bon vieux cuir de peau de couille des Méphisto’s /  Celle qui a une fleur entre ses plates-bandes / Ceux qui se demandent comment se planifie l’organigramme de l’éternité au niveau des sorties / Celui qui enjambe son futur cadavre pour aller pisser dans la neige / Celle qui ouvre la chemise du Monsieur pour lui faire la peau douce / Ceux qui se disent aimés de Dieu qui leur fait répondre de quoi je me mêle là-bas ? / Celui qui estime qu’un Juif suisse allemand n’est pas tout à fait un Suisse allemand / Celles qui aiment se faire engueuler par de très vieux écrivains irascibles genre Ludwig Hohl dans son caveau ou Georges Haldas à l’hosto / Ceux qui se rappellent la bonté du vieil Ikonnikov dans Vie et destin de Vassili Grossman / Celui qui se rappalle la remarqued’Alexandre Zinoviev (cette année-là dans le tram de Munich) selon lequel l’idéologue en chef Mikhaïl Souslov était juste assez humain pour rester digne de mépris / Celle qui a lu quelque part que Montaigne était né l’année (1533) ou le catholique pratiquant Pizarro étrangla l’Inca Atahualpa / Ceux qui se demandent à quel saint se vouer après les 1338 béatifications de Jean Polski ensuite canonisé subito / Celui qui à 12ans chantait La lutte suprême devant le feu de camp qui lui grillait les roustons / Celle dont les râles ne sont pas d’agonie ni d’une râleuse avérée dans le quartier alors tu crois quoi ? / Ceux qui remercient Dieu de leur avoir fait le bras assez long etla main assez ferme pour prendre leur pied / Celui qui se mêle à la fois des larmes d’en haut et d’en bas vu que rien de ce qui est humain ne lui est étranger / Celle qui se considère comme objectivement « envieillie » selon l’expression de Montaigne qu’elle n’a pas lu personnellement mais wikipedia n’est pas pour les rats ou quoi ? / Ceux qui se demandent de quelle vidéo parle Sénèque quand ilécrit « Quocumque me erti, argumenta senectutis meae video » ? /Celui qui a pas mal écrit sur le c… de la femme sans user de sa gomme / Celle qui dit non à Fernand qui lui propose de la regarder pisser / Ceux qui font les modestes en réduisant leurs écrits à « pattes de mouches et petonsd’oies » / Celui qui menace le poète soufi de décapitation au motif que celui-ci évoque la résurrection des femmes violées avec leur fleur intacte / Celle qui s’est réjouie de l’initiative du bon pape Jean XXIII consistant à supprimer la formule de « perfides juifs » dans la prière du vendredi saint et ce jusqu’en 1959 / Ceux qui sont antisémitres au dam de leur diocèse / Celui qui a rangé tous ses ouvrages de théologie eschatologique et de patristique comparée dans son grenier sans se douter que celui-ci cramerait à cause ou malgré ça Dieu sait / Celle qui trouve dans Le Fracas des nuages des amorces de nouvelles et autres dérives délirantes qui la font s’exclamer « ce Schlechter ! ce Schlechter! » avec le même élan que celle qui s’exclame« ce Lambert ! ce Lambert ! » quand celui-ci passe à l’acte/ Ceux qui meurent curieux de ce qu’on dira d’eux plus tard disons autour de la prochaine glaciation estimée à  l’an 5016 en Suède / Celui qui à bien regarder les ciels de Constable constate qu’en effet le fracas est là / Celle qui taxe le diariste Henri-Frédéric Amiel de crucifié de l’écrit au motif que le prof genevois indiquait d’une croix dans la marge de son fameux Journal intime chaque manuélisation dont il se remordait par ailleurs / Ceux qui ont remarqué la présence de trois imams salafistes de tendance dure dans le gang bang qu’ils ont rejoint en laissant au vestiaire leur barbe postiche / Celui qui aimait bien retrouver Georges Haldas au Domingo puis Chez Saïd / Celle qui aurait cramé dans les bras de Lambert hélas peu porté ce soir là sur le genre allumeuse New Age / Ceux qui se rappellent l’odeur du ghetto « nettoyé » / Celui qui à la Kolyma écrivait d’amoureuses apostilles en mâchant des racines / Celle qui fait un pompier au poète dont la bibliothèque a brûlé / Ceux qui ne se rappellent pas bien les mérites détaillés de saint Lambert mais savent qu’il a fini découpé en tout petits morceaux de papier lancés aux quatre vents dont les oiseaux toscans et les anges firent leurs content, etc.

(Cette liste a été retrouvée dans les marges de l’exemplaire sauvé des flammes du Fracas des nuages de Lambert Schlechter, troisième volume de la série intitulée Le murmure du temps paru auCastor astral en juillet 2013) 

 


La pensée contre la force

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9782283029404.jpgÀ lire toute jactance cessante:  Vertige de la force, le dernier essai d'Etienne Barilier, écrit entre janvier et novembre 2015. 

Une réponse admirablement étayée à ceux qui pensent que l'Occident n'a "rien à offrir" aux désespérés ou aux écervelés que le terrorisme attire. 

La remise en cause radicale de l'assertion selon laquelle l'islamisme n'a "rien à voir" avec l'islam. 

Une réflexion sur le "crime de devoir sacré" qui remonte aux sources de la violence monothéiste, avec des aperçus et des mises en rapport éclairantes sur l'évolution comparée du christianisme conquérant ne cessant de produire son autocritique - de Las Casas aux théologiens de la libération, en passant par Castellion, Bonhoeffer et Jean XXIII - et d'un islam crispé dans sa vision de l'homme esclave de Dieu et de la femme esclave de l'homme. 

Enfin et surtout: un  questionnement fondamental sur la fascination exercée même sur les plus grands esprits (dont un Heidegger) par la force et les puissances irrationnelles, la pureté de la force sacrée à l'état brut et la mort. 

Etienne Barilier. Vertige de la force. Editions Buchet-Chastel, 117p.

 

(Commentaire plus substantiel suivra)

Au Club des spécialités

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Notre ami le coupeur de tresses a le meilleur jeu ce soir, et sans doute va-t-il nous plumer une fois de plus.

Le jeune révérend lesbien relève en souriant qu’il y en a qui naissent coiffés, ce qui nous fait rire par simple convivialité, eh, eh.

Notre convention stipule qu’à celui qui gagne on donne ce qui lui fait plaisir, et là ce ne sera pas compliqué vu le goût simple de Ferdi. De fait, vous savez que  les filles tressées ne manquent pas dans cette partie de Vienne. Cependant Vienne, précisément, nous inquiète.

Nous parlions ce soir de la situation générale dans le pays. Tout ouverts que nous soyons aux penchants spéciaux, nous nous inquiétons aussi bien, depuis quelque temps, de voir s'affirmer en nombre les vociférateurs aux bras levés, et d'autant plus qu'ils nous vilipendent dans les journaux et les  assemblées.

En vérité, la marge de liberté s'amenuise pour les marginaux singuliers que nous sommes, tandis que les vociférateurs croissent en nombre et en surnombre, les bras levés comme des membres.

Mais que deviendrait la séculaire société viennoise sans nous autres innocents coupeurs de tresses, renifleurs d'aisselles et autres buveurs de larmes à l'ancienne, sans parler de nos amis poète également menacés ?C'est de cela que nous parlons ce soir en brassant nos cartes, au fond du café que vous savez dont nous ne savons pas quel sort l'attend avant longtemps, que nous partagerons...

Image: Philip Seelen.

 

Question de style

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littérature,sociétéLe plus dur est de retrouver le sourire. Même si les gens de l’équipe sont hypergentils c’est pas tous les jours cadeau de bosser dans le hard quand t’es romantique.

Moi ce que j’aime au fond c’est les jolies robes et les uniformes, mais surtout qu’on me fasse la cour et dans les formes de politesse à l’ancienne.

Et là faut reconnaître que c’est plus très la manière de l’époque.

Les gens sont tellement stressés !

Note que je comprends qu’ils ont pas la vie fastoche mais je vois pas ce que ça arrange qu’ils fassent cette gueule et qu’ils te tiennent pas la porte à l’entrée du métro.

Dans le métro je me donnerais au premier venu qui me ferait un sourire humain.

C’est entendu qu’on est tous vannés à mort - tu te figures pas ce que t’es naze après une double pénétration, mais où ce qu’on irait sans la tradition française et tout ça ?

(Extrait de La Fée Valse)

Ceux qui ont du mal

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En mémoire de Louis Soutter (1871-1942)


Celui qui baise les mains des pauvres / Celle qui vaque nue à ses occupations ménagères sans se soucier de ses voisins malais / Ceux que paralyse la stupeur dans les jardins de la clinique / Celui qui s’échappe de l’angoisse par des vocalises / Celle qui vend les aquarelles de son frère dans les auberges de l’arrière-pays où commence de se répandre la rumeur que ça pourrait valoir quelque chose plus tard / Ceux qui estiment que le peintre excentrique de l’asile voisin ne devrait pas être autorisé à fréquenter l’église publique / Celui que la Mélancolie étreint depuis l’âge de sept ans / Celle qui prie debout sur le mur du cimetière / Ceux qui n’ont pas été avertis par leur tuteur de la mort de leur père / Celui qui s’achète des cravates voyantes par lots de cent / Celle qui raffole des tenues démodées de son cousin au melon prune / Ceux qui reçoivent les factures des cadeaux onéreux que leur envoie leur neveu Thompson / Celui qui demande volontiers l’impossible même si ce n’est pas français / Celle qui lance une rose bien rose à son ami soliste de l’Orchestre du Kursaal / Ceux qui disent qu’ils ne croient plus en Dieu d’un ton menaçant / Celui dont l’encre noire fait exploser le bouquet de fleurs de la tante Bluette / Celle qui a photographié le tableau de son père avant de le revendre à un prix surfait / Ceux qui se demandent qui est ce gros type élégant à Panama qui vient rendre visite au dingo de l’asile / Celui qui peint des Christs que les paroissiens trouvent trop tristes / Celle qui prend sur ses genoux son grand fils de 33 ans aux sanglots spasmodiques / Ceux qui confisquent le crucifix de la folle qu'ils revendent à la Bonne Puce / Celui qui n’ose pas dire à sa logeuse qu’il n’a jamais connu la Femme au sens biblique / Celle qui pose en deuil pour son frère divorcé dont l’ex se dit veuve / Ceux qui donnent des leçons de musique (guitare Fender et pianola) au fils du jardinier / Celui qui se dit le descendant de Goya par sa mère et par le noir dont il broie lui-même les pigments / Celle qui se sent peu de chose à côté de son cousin marchand de couleurs en gros et vice-président du parti radical / Ceux qui estiment que c’est vers 1904 que le violoniste dingo, qui arrêtait l’Orchestre de la Suisse Romande (OSR) pour lui faire écouter tel ou tel passage de Beethoven, a raté sa carrière d’interprète pour se lancer dans celle de peintre halluciné / Celui que sa scléose de la choroïde empêche de plus en plus de voir ce qu'il peint au doigt / Celle qui a surmonté le handicap consécutif à l'amputation de sa main droite par le recours à la gauche dont procède l'évolution de sa sculpture à partir de 2017 / Ceux qui écoutent toujours du Beethoven en dépit de leur surdité complète / Celui qui a rencontré la Femme de ses Rêves en pratiquant l'auto-stop dans l'arrière-pays jurassien / Celle qui endure la meurtrissure finale / Ceux qui s'éloignent sur le chemin de fine poussière nacrée / Celui qui caresse le ballon d'enfant qu'il a chipé au petit-fils de l'organiste Ysaïe / Celle qui entend marcher les Lunaires au plafond de la guérite de douanier qu'elle appelle  la Basilique des Lois / Ceux qui se retrouvent dans l'arrière-monde pour y jouer au Nain Jaune, etc.   

Images: Peintures et dessins de Louis Soutter. Louis Soutter, vers 1940.

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Force douce de la pensée

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Une lecture de Vertige de la force, essai d'Etienne Barilier.

Le contraire de la violence n’est pas tant la non-violence que la pensée, écrivait Etienne Barilier dans son mémorable essai intitulé La ressemblance humaine, et le nouvel ouvrage qu’il vient de publier sous le titre de Vertige de la force, bref mais très dense, et surtout irradiant de lumière intelligente, en est la meilleure preuve, qui conjugue la pensée de l’auteur et celles de quelques grands esprits européens, de Simone Weil à Thomas Mann ou de Goethe à Jules Romains ou Paul Valéry, notamment, contre les forces obscures du fanatisme religieux ou pseudo-religieux.

Vertige de la force est à la fois un texte d’urgence, amorcé sous le coup de l’émotion ressentie lors des attentats du 7 janvier 2015, et conclu après le carnage du 13 novembre, et une réflexion s’imposant la mise à distance et le décentrage par rapport aux formules-choc et autres interprétations hâtives assenées sur le moment, les unes prenant la défense des assassins contre les caricaturistes de Charlie-Hebdo (« Ils ont vengé Dieu ! ») et d’autres invoquant un Occident qui n’aurait « rien à offrir » à la jeunesse en mal d’idéal, voire d’absolu.

Etienne Barilier n’est pas du genre à se répandre sur les plateaux de télé ou par les réseaux sociaux, mais il n’est pas moins attentif aux débats intellectuels en cours, et c’est ainsi que sa réflexion recoupe ici celles de plusieurs figures de l’intelligentsia musulmane, tels Abdelwahab Meddeb et Abdennour Bidar,notamment.

Humaniste immensément cultivé, traducteur et chroniqueur, romancier et conférencier, Barilier, auteur d’une cinquantaine de livres, a consacré plusieurs essais au dialogue ou aux confrontations entre cultures et (notamment dans Le grand inquisiteur) au thème de la violence commise au nom de Dieu.

Or ce qui frappe, à la lecture de Vertige de la force, c’est la parfaite limpidité de son propos et la fermeté avec laquelle il défend l’héritage d’une culture qui nous a fait dépasser le culte des puissances ténébreuses et de la force, sans oublier la longue et sanglante histoire d’une chrétienté conquérante oublieuse de son fonds évangélique. 

Les thèmes successifs de Vertige de la force sont la définition du crime de devoir sacré, le scandale d’une idéologie religieuse faisant de la femme une esclave de l’homme et de l’homme un esclave de Dieu, la difficulté pour les intellectuels musulmans de réformer leur religion « de l’intérieur », la conception particulière du temps musulman, la typologie du guerrier djihadiste et, faisant retour à l’Occident, l’étrange fascination exercée sur les meilleurs esprits (tel Ernst Jünger devant la guerre, ou Heidegger devant l’abîme) par la force et les puissances obscures ramenant au «fond des âges ».

Le crime de devoir sacré

images-12.jpegAinsi que l’a relevé un Albert Camus (premier maître à penser de Barilier, qui lui a consacré l’un de ses ivres), le XXe siècle a inventé le « crime de logique », aboutissant à l’organisation planifiée des camps de concentration et d’extermination. Ce crime « rationnel » de haute technicité rompt avec ce qu’on peut dire le « crime de passion », à caractère éruptif et sporadique, dont la jalousie (dès le Caïn biblique) est l’une des motivations récurrentes. 

Or il est une autre sorte de crime millénaire, conjuguant la violence des deux espèces, qu’on peut dire le« crime de devoir sacré ». Parce qu’ils étaient blasphémateurs, les collaborateurs de Charlie Hebdo répondaient de l’offense faite à Dieu et à son prophète. Parce qu’elles étaient juives, les victimes de la Porte de Vincennes méritaient le châtiment des « infidèles », de même que les 140 étudiants chrétiens massacrés en mars 2015 dans la ville kényane de Garissa. Quant à la tuerie aveugle de novembre 2015, elle illustra finalement la force à l’état pur, dirigée contre tous ceux qui étaient supposés se vautrer dansl’impureté.   

Mais l’obsession de la pureté n’a-t-elle pas fait, aussi , des ravages dans notre propre histoire ?

À ceux qui, avec quelle démagogie nihiliste, affirment que nous n’avons« rien à offrir » à la jeunesse désemparée, Etienne Barilier répond qu’au contraire les leçons que nous pouvons tirer de notre histoire sont un legs précieux, tout au moins à ceux qui sont disposés à le recevoir.

« Notre propre histoire montre que le crime de devoir sacré fut jadis, et même naguère, un de nos crimes préférés. Mais elle montre aussi qu’il ne l’est plus. Montesquieu, dans son Esprit des Lois, écrit cette phrase décisive :« Il faut faire honorer la divinité, et ne la venger jamais ». 

Les martyrs écorchés vifs et brûlés pour la plus grande gloire du Dieu catholique et apostolique n’ont-ils « rien à voir » avec la chrétienté ? Ce serait pure tartufferie que de le prétendre. Mais accompagnant les conquérants espagnols, le moine Las Casas consigne un témoignage accablant qui exprime une révolte contre la force de l’Eglise, de même que Sébastien Castellion s’opposera à Calvin quand celui-ci fera brûler le médecin« hérétique » Michel Servet. C’est d’ailleurs à Castellion qu’on empruntera, en janvier 2015, sa fameuse sentence selon laquelle « tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme ».

Or, de la controverse de Valladolid opposant Las Casas au Grand Inquisiteur, notamment sur la question de savoir si les Indiens ont une âme, jusqu’au jour de 1959 où le bon pape Jean XXIII abrogea la formule de l’oraison du Vendredi saint évoquant les « perfides juifs », nous aurons fait quelques petits progrès dans l’esprit du Christ... 

« S’il faut reconnaître ce que nous fîmes, ce n’est pas pour oublier ce que nous sommes », remarque Barilier.  Est-ce dire que nous soyons devenus meilleurs ? Disons plutôt que notre rapport avec la force s’est transformé.

À cet égard, évoquant l’héritage décisif d’un Pierre Bayle, qui affirme, après la révocation de l’édit de Nantes et contre le « forcement des consciences » autorisant les dragonnades, que « tout sens littéral qui contient l’obligation de faire des crimes est faux », Barilier le souligne : « La voilà, la lecture en esprit, celle dont on attend qu’elle soit appliquée au Coran comme à la Bible. Ce n’est qu’une question de temps, disent les optimistes. Hélas, nous verrons que le temps de l’islam n’est peut-être pas le nôtre ».

« Oui, nous avons fait la même chose, mais précisément, nous ne le faisons plus. Oui, nous avons comme le crime de devoir sacré, mais ce crime est désormais, pour nous, la chose la plus abominable qui soit ».

Sacrées bonnes femmes !

PHO19cbce58-b8ec-11e3-b80b-3bfae645a38e-805x453.jpgEntre autres qualités rares, Etienne Barilier a le génie des rapprochements éclairants. Ainsi de son recours, à propos du rapport souvent vertigineux que l’homme entretient avec la violence, relevant de la sidération, se réfère-t-il à ce qu’il considère comme « l’un des textes capitaux du XXe siècle », écrit par Simone Weil en pleine Deuxième Guerre mondiale, intitulé L’Iliade ou le poème de la force et dans lequel la philosophe juive d’inspiration christique met en lumière l’anéantissement moral, pour le vaincu mais aussi pour le vainqueur, que représente l’écrasement d’un homme par un autre. Et d’imaginer ce que Simone Weil aurait pu dire des crimes concentrationnaires nazis et des crimes terroristes au XXIe siècle... 

Distinguant ces crimes de  devoir sacré des crimes « de raison » du communisme athée, Barilier relève que dans les deux cas (nazis et terroristes islamiques) « le pouvoir qu’on détient physiquement sur autrui fait procéder à sa destruction morale. Et cette destruction se fait dans l’ivresse sacrée ».  

Par le crime de devoir sacré, le tueur exerce un pouvoir absolu, divinement justifié. Or ce pouvoir absolu est le même qui justifie la soumission de la femme à l’homme et l’esclavage de celui-ci au Dieu censé le« libérer ».

Un chapitre à vrai dire central, intitulé Marguerite au rouet, puis sous la hache, constitue l’une des pierres d’achoppement essentielles de Vertige de la force, ou le double pouvoir de l’homme, en vertu de « la loi du plus fort », et de Dieu, continue aujourd’hui de s’imposer à la femme en vertu de préceptes prétendus sacrés.

« Avec l’islamisme, religion qui s’est élaborée dans une société profondément patriarcale, Dieu frappe la femme d’infériorité. Les hommes, dit le Coran, prévalent sur les femmes ».

Mais qui écrit cela ? Un infidèle fieffé ? Nullement : c’et l’Egyptien Mansour Fahmy, dans une thèse présentée en Sorbonne en 1913, sur La Condition de la femme dans l’islam, qui lui vaudra d’être interdit d’enseignement dans son pays et d’y mourir rejeté.

Toujours étonnant par ses rapprochements, Etienne Barilier parle ensuite des souvenirs d’enfance de l’écrivain algérien Rachid Boudjedra, dans La prise de Gibraltar, qui évoque l’acharnement avec lequel un vieillard, « maître de Coran », l’oblige à répéter la fameuse sourate de la vache concluant à l’impureté de la femme, et donc de sa mère, quitte à le battre pour sa réticence avant que son propre père, voire sa mère elle-même, n’en rajoutent ! ».

Sur quoi Barilier, après l’exemple d’un autre écrit éloquent de l’auteur sénégalais Cheikh Hamidou Kane, bifurque sur le sort tragique, et combien révélateur aussi, de Marguerite dans le Faust de Goethe : « La force dans le Dieu qui tue ; la force dans l’oppression des femmes. Ces deux violences se rejoignent étrangement, tout en paraissant se situer aux deux extrémités de l’humain ; le sacré, et les muscles. Mais on a vu que leur lien ne pourrait pas être plus intime : la violence la plus physique prend un sens moral dès lors qu’elle est humaine, et la violence qui prétend trouver sa source dans l’exigence la plus haute, celle de Dieu, est précisément celle qui débouche sur l’usage le plus meurtrier de la brutalité physique. »

Du perdant au guerrier radical

Etienne Barilier ne parle ni de ce qui, socialement ou culturellement, pousse tel jeune à se radicaliser, ni de la« gestion » française des banlieues ni de l’implication du complexe militaro-industriel de l’Empire américain dans la déstabilisation du Moyen-Orient, ni non plus de ce qui rapproche ou distingue un « fou deDieu » à l’ancienne manière russe d’un djihadiste du soi-disant Etat islamique.

Pour autant, l'on ne saurait lui reprocher de se cantonner dans les nuées. Ainsi, à propos de Boko Haram, établit-il un parallèle entre les extrémistes iconoclastes ennemis de toute culture et de tout livre autre que le Coran, et l’Armée de résistance du Seigneur sévissant en Ouganda sous la direction  du redoutable Joseph Kony, mélange d’intégriste biblique et de sorcier animiste, terrorisant les populations avec son armée d’enfants soldats et dont on estime les massacres à plus de 100.000 personnes en 25 ans, au nom du seul Dieu juste…

« Sans nul doute », écrit Barilier, moyennenat les distorsions qui s’imposent, n’importe quelle parole divine, y compris celle de l’Evangile, peut devenir un bréviaire de la haine ». 

Cela étant, il faut reconnaître que la force n’a pas le même statut dans l’Evagile et le Coran.

« Il n’est que trop vrai que la chrétienté a mis fort longtemps avant de commencer à comprendre le christianisme », écrit Barilier, qui cite l’historien Jean Flori auteur de Guerre sainte, jihad,croisade, violence et religion dans la christianisme et l’islam,établissant la légitimation, par le prophète, de l’action guerrière, au contraire du Christ : « La doctrine du Coran tout comme la conduite du prophète d’Allah sont, sur le point de la violence et de la guerre, radicalement   contraires à la doctrine des Evangiles et à l’attitude de Jésus ».

Or à ce propos, les interprètes les plus progressistes du Coran n’en finissent pas (à nos yeux en tout cas) de tourner en rond dans une sorte de cercle coupé du temps, tel qu’on le constate dans les thèses de Mahmoud Mohammed Taha,  que Barilier surnomme le « martyr inquiétant », auteur soudanais d’Un islam à vocation libératrice, qui s’ingénie à voir dans l’islam la quintessence de la démocratie et de la liberté tout en prônant la soumission volontaire de l’homme à Dieu et de la femme à l’homme. Or découvrant des phrases de cet improbable réformateur affirmant, après avoir défendu l’usage du sabre « comme un bistouri de chirurgien » que « la servitude équivaut à la liberté », annonçant en somme la novlangue d'un Orwell ou d'un Boualem Sansal, l’on est interloqué d’apprendre que Taha, jugé trop moderniste ( !) finit pendu à Khartoum en janvier1985.

La deuxième pierre d’achoppement fondamentale, dans Vertige de la force, tient à la conception du temps dans la vision musulmane, bonnement nié au motif qu’il n’y a pas d’avant ni d’après l’islam.

« La temporalité islamique n’est ni linéaire ni circulaire ; elle est abolie », écrit Barilier en citant les assertions de Taha selon lequel l’Arabie du VIIe siècle était déjà dans la modernité, que L’islam en tant que religion « apparut avec le premier être humain » et que l’islam englobe toute la philosophie et toute la science qui prétendraient être nées après lui.

Or cette conception « fixiste » n’explique pas seulement l’énorme « retard » pris, depuis le Moyen Âge, par les cultures arabo-musulmanes : elle justifie une prétendue« avance » qui se dédouane en invoquant la perte de toute spiritualité et de tout réel « progrès » dans la civilisation occidentale.

En prolongement de ces observations sur ce profond décalage entre deux conceptions du monde, Barilier revient à un essai de l’écrivain Hans Magnus Enzensberger, datant de 2006, intitulé Le perdant radical et dans lequel était présenté une sorte de  nouvel homme du ressentiment fabriqué par notre société capitaliste et concurrentielle où le désir de reconnaissance exacerbe autant les envies que la frustration et l’intolérance.

9791020902672.jpgPointant le retard accablant des sociétés arabes de la même façon qu’un Abdennour Bidar dans sa courageuse Lettre ouverte au monde musulman, Enzensberger faisait remonter au Coran les causes de ces retards en matière d’égalité et de condition féminine, de liberté de recherche et de développement du savoir, de vie privée et de démocratie réelle.

Et de comparer les terroristes à ces « perdants radicaux » qui, en Occident, compensent leurs propres frustrations en mitraillant les élèves d’un collège ou en « pétant les plombs » de multiples façons.

Or s’agissant des djihadistes islamiques, Etienne Barilier préfère, à la formule de « perdant radical », celle de« guerrier radical », dans la mesure où leur ivresse criminelle se déchaîne dans un cadre prétendu sacré. Or il va de soi que cette « force pure » n’a plus rien à voir avec l’islam que défendait un Mohammed Taha. « Oui, la rage de destruction et de mort – le « vive la mort » - des groupes terroristes islamistes est un moteur plus puissant et plus enivrant que les religions qui leur donnent base légale, caution morale ou verbiage justificatif ».

Dans la lumière d’Engadine

4489220_7_74a9_selon-peter-trawny-qui-les-a-edites-en_37f90ccbe00ccfad5789f475dc6f286e.jpgLa dernière mise en rapport fondant le thème le plus vertigineux de cet essai, à savoir la fascination de l’abîme, concerne le rapprochement du culte de la force sacrée chez les terroristes islamistes et la pensée du philosophe qui affirmait qu’il faut « faire du sol un abîme », à savoir Martin Heidegger.

La base de cette dernière étape de l’essai de Barilier,avant sa conclusion beaucoup plus lumineuse, est la rencontre historique à Davos, en 1929, de deux grandes figures de l’intelligentsia allemande du XXe siècle, en les personnes d’Ernst Cassirer, modèle d’humaniste attaché à la Raison, à la noblesse du langage et au respect de la  forme dont Thomas Mann semble avoir préfiguré les positions dans le personnage du Settembrini de La Montagne magique, alors que l'ombrageux Naphta, mystique anti-bourgeois, annonce (plus ou moins...) un Heidegger rejetant ou dépassant les catégories kantiennes.

thomas-mann-weg.jpgPar delà le rapprochement entre un roman composé entre 1912 et 1923 et la rencontre de 1929, Barilier précise que, plus que les positions antagonistes des deux personnages, c'est l'atmosphère claire, enivrante et mortifère de Davos qui compte en l'occurrence: "Le lieu où la vie semble à son comble de pureté, mais où la mort ne cesse de rôder, et va frapper"...

Comme il s’est défendu ailleurs de procéder par« amalgames », épouvantail commode de ceux qui refusaient a priori de penser après les tragédies de l’an dernier, Barilier se garde d’établir un lien de causalité directe entre la pensée de Heidegger et le déchaînement de la force nazie, « modèle infâme de la force islamiste ». Et pourtant… Et pourtant, il se trouve que certains penseurs iraniens islamisants ont bel et bien fait de Heidegger leur maître à penser en matière de programme identitaire, qu’ils prétendent mieux connaître que tous les Infidèles.

Heidegger ? « Le style de la nuit, donc. Et de  l’Abgrund, l’abîme. Un « Abgrund » évidemment sans commune mesure avec les abîmes nazis. Mais ce qui reste vrai, c’est que tout choix de l’abîme, tout refus de la raison humaine, de l’exigence des Lumières, du dialogue dans la lumière, menace d’asservir l’homme au pouvoir de la force ».

Au moment de la libération de Paris, dans un texte intitulé Respirer, Paul Valéry écrivit ceci : « La liberté est une sensation. Cela se respire. L’idée que nous sommes libres dilate l’avenir du moment ».

Parce qu’il est aussi artiste, romancier et musicien, Etienne Barilier sait d’expérience que la liberté est forme, qui doit certes accueillir la force pour exister. Mais « la force de la forme n’est plus force qui tue. C’est la force domptée par la forme, qui n’en garde que l’élan.Ou encore : la forme c’est la patience de la force ». De même Simone Weil parlait-elle d’ »une autre force qui est le rayonnement de l’esprit ».

Tel étant le trésor de mémoire, et de pensée revivifiée, que nous pouvons redécouvrir et transmettre, au dam de ceux –là qui pensent que nous n’avons plus « rien à donner »…

Etienne Barilier. Vertige de la force. Buchet-Chastel, 117p.

Salon de coiffure

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J’aime chevaucher à cru mon poulain noir à longue crinière, mais cela n’est pas du goût de Monseigneur qui me poursuit de son jaloux anathème.

Longtemps j’ai cru que c’était ma réputation de Jésuite ferré en astrophysique, bien établie dans le diocèse, qui lui inspirait cette défiance.

Puis, tombant un soir sur Son Eminence dans le salon de la Mère Victoire, en fort brillant état, le voici qui m’explique de vive voix que c’est à la chevelure d’Absalon qu’il en a.

Ne me l’amenez pas en confession où je la lui raccourcis à la cisaille, me lance-t-il alors en me désignant les lames aiguisées saillant du désordre de ses vêtements épars.

Enfin tout rentre dans l’ordre lorsque le Kid aux cheveux de jais s’agenouille devant lui pour lui demander sa bénédiction et que, d’un geste vif, le prince de l’église lui taille une longue mèche qu’il lui jette au visage tandis que la garçon fait ce qu’il doit selon le Canon.

(Extrait de La Fée Valse)

Un couple uni

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Nous aimons nous tenir par la main et déambuler ainsi le long des Ramblas.

Notre dernière querelle date de 1987, le soir précédant mon départ en Pologne.

J’étais rentré cuité du bureau. Elle m’a dit je ne sais plus quoi. Le coup est parti avant que je le retienne. Ensuite je lui écrivis, dans l’avion, une lettre que mes larmes de sentimental à la con trempèrent de grosses gouttes.

Lorsque je suis revenu de Varsovie, elle portait encore des lunettes noires pour cacher son bleu.

À Varsovie j’ai passé toute une nuit avec un ancien proche de l’actuel pape, amputé d’une main, qui se rappelait les décombres de la ville en 1945 ; il avait sept ans et son père lui disait de bien regarder la place anéantie, dont pas un vestige de mur n’était plus haut que lui – la même place où nous nous trouvions à l’instant, avec son air de décor de théâtre et ses boutiques de Cardin.

C’est ce que je raconte à ma moitié sur les Ramblas, qui valent toujours le déplacement.

Ah oui cela encore : que notre position préférée est celle du missionnaire.

(Extrait de La Fée Valse)


Les ados

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Il y en a qui croient que l’amour est facile à cet âge, mais c’est n’importe quoi.


En tout cas dans le rêve, c’est pas le rêve. Certes les corps sont élastiques et légers comme plus jamais après, et ce pourrait être si bon l’amour seulement physique à cet âge, rien que la peau, rien que les parfums nature, et la vigueur et la saveur de la première fois.

Mais il est devant elle comme un sac, et ce qu’il lui dit est tellement emprunté qu’elle ne peut se retenir de se gausser.

Il n’y a qu’à la danse qu’il la fait taire quand il se presse contre elle et qu’elle le sent bien dur, pourtant ce qui suit est forcément mal barré d’un côté ou de l’autre parce que ca va forcément trop loin ou pas assez.

Enfin ils se sont quand même promis de se retrouver seuls dans la chambre de sa sœur à elle, le mardi quand il n’y aurait personne. Il a dit à ses compères que cette fois il la tirait vite fait, mais à présent il a peur de ne pas assurer au moment où ; surtout il y a quelque chose qui ne lui revient plus tout à fait chez elle maintenant qu’ils en sont vraiment là, en plus de son odeur de Vicks Vaporub.

Et ensuite, c’est souvent comme ça la première fois, il ne se rappelle plus bien ce qui s’est passé, pas plus qu’elle, d’ailleurs, sauf pour dire, et elle aussi que, vraiment, vraiment ç’avait été super géant.

(Extrait de La Fée Valse)

Le guichet aux miracles

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Pour tel jour je m’étais commandé la rapidité du saumon sous la lenteur plombée des nuages du nord boréal.

Pour tel autre la furia de Beethoven alliée à l’implacable retenue de Svjatoslav Richter dans la modulation sottovoce de la sonate posthume en ré mineur de Franz Schubert.

Chacun se voudrait autre, si possible meilleur ; et d’ailleurs ceux qui visent trop bas sont assez souvent recalés.

Une jeune écervelée ne désire que s’éclater à Copacabana : recalée.

Notre mère quant à elle ne demandait qu’une chose, et c’est que Dieu lui rendît notre père : Tu n’as qu’à me prendre tout ce qu’il me reste mais lui, Tu me le rends, Brigand !

Elles sont nombreuses à déposer le même genre de demandes, que les employées reçoivent avec des airs gênés. Des conseillers en communication les aident à gérer ces dossiers toujours délicats.

Cependant l’une des employées, assez jolie, en pince pour le plus jeune des conseillers, qui n’a d’yeux que pour elle. On en conclut, et c’est tout bonus pour le Service, que l’affaire sera dans le sac ce soir encore.

(Extrait de La Fée Valse)

La surveillante

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Cela se sait maintenant de quelques-uns, mais on a garde de ne pas l’ébruiter : pas que ça merde.

Quand elle nous a mis au premier rang, les grands, pour nous avoir à l’œil à ce qu’elle disait, et qu’elle a commencé ses fouilles au corps, il y en a qui n’y ont vu que du feu, mais elle a compris que j’avais compris et c’est pourquoi son regard se faisait si grave quand elle m’emmenait derrière le paravent. 

Du jour où elle a rougi en touchant soudain le manche de couteau que j’avais dans la poche de ma culotte de peau, , et que je l’ai fixée aux yeux, elle a deviné que je ne dirais rien, et c’est alors qu’a commencé le jeu de me retenir après les heures de retenue, avec deux autres du même bois serré.

Or tu sais que je ne dirai rien, Demoiselle, ça  t’es tranquille. Deux des moyens ont cafté à ce qu'on dit, mais quelle preuve en ont-ils ? Et quant à mes deux compères, pas de souci non plus  vu  que nous venons tous les trois de Soues-dessus.

Et de toute façon, Demoiselle, qui prêterait le moindre crédit à trois voyous qui sont pour ainsi dire abonnés à la colle du jeudi ?

Image: Soutine 

(Extrait de La Fée Valse)

Haute école

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C’est au bout de la jetée Amadeus qu’elle donne ses leçons. Dans le rêve elle est en grande tenue et nous aussi, tous les élèves en âge d’être initiés.

Elle ne s’attarde guère à la théorie. « Venons-en tout de suite aux mains, nous ordonne-t-elle, et nous les lui présentons ». À ceux qui n'ont pas de don, elle en donne. Puis elle nous montre chaque figure appropriée : le petit trot, la croupe au mur, la palotade.

Dès qu’elle sent un emballement elle invite l’intempestif à ralentir. « Le saut n’est que ce qui le prépare» nous répète-t-elle à l’envi.

Puis elle chevauche l’un d’entre nous dont elle blesse parfois les flancs de ses éperons. Larègle tacite est cependant de ne paraître jamais souffrir. Nos familles nous ont choisis pour être dressés et c’est un honneur.

À marée haute, il semble que nous dansions sur les flots.

(Extrait de La Fée Valse)

Decrescendo dolcissimo

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Au niveau du groupe nous nous étions cooptés selon des critères purement contrapuntiques, en évitant cependant le mec trop à droite ou la nana coincée. L’idée de jouer de nos corps était inscrite dans le contrat tacite, mais on n’allait pas donner pour autant dans l’échangisme à la trouduc.

Jamais, d’ailleurs, nous n’avons cherché le scandale. Si le public venait de plus enplus nombreux à nos concerts, rien n’était calculé de notre part, ni les préliminaires ni la conclusion.

Lorsque la maladie a fait du septuor un quintet, puis un trio, c’est assez naturellement que la gravité et la mélancolie se sont substituées, dans nos interprétations, à la sensualité radieuse qui avait établi notre célébrité.

Enfin là, si vous le voulez bien, vous la bouclez un moment, j’veux dire : vous vous taisez, vous faites silence, vous la fermez juste le temps que nous écoutions ce que Franz Schubert a écrit rien que pour nous deux, rien que pour elle et moi - rien que pour vous tous et nous tous qui sommes encore là.

(Extrait de La Fée Valse)

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